Mariés depuis des années et pourtant, chacun vit chez soi, dans le même quartier voire même sur le même palier. C’est ainsi qu’ils considèrent le bien-être de leur intimité. A moins que ce ne soit pour d’autres raisons plus profondes. Rencontre avec ces couples qui ont choisi de se séparer pour mieux s’aimer.
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UNE NOUVELLE CHANCE DE MIEUX S’AIMER !
Aimer sans vivre sous le même toit semble avoir conquis Sabah et Ludovic, Kenza et Farid et bien d’autres. A l’évidence, ils s’aiment… « Et ce, même si nous ne partageons pas les comptes, le gîte, ni parfois même le couvert, affirme Sabah, 29 ans. On a en effet choisi de vivre ensemble à distance, non pas par facilité ou égoïsme mais par pur romantisme. » Loin de l’image du couple traditionnel, ils refusent de subir la routine du quotidien. Leur récente rupture y est certainement pour quelque chose. Elle s’explique. « Quand j’ai divorcé du père de mon fils après quatre ans de mariage, je ne rêvais que d’une chose : mener une vie de femme libre, dédiée à mon enfant et à ma carrière professionnelle. Un an plus tard, j’ai rencontré Ludo qui habite à deux rues de là. Ce fut le coup de foudre. Nous nous sommes unis car très amoureux. Mais ni lui, ni moi, des cœurs brisés par le passé, n’avions alors envie de sacrifier notre indépendance ou notre autonomie toute neuve sur l’autel du couple… Nous savourons cette nouvelle forme de conjugalité comme une seconde chance. Notre relation ressemble à celle d’autres couples. En plus de s’aimer depuis trois ans, on est devenu les deux plus grands amis du monde », assure-t-elle.
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SOIS LIBRE, SOIS-TOI !
Pour le sociologue Serge Chaumier, l’autonomie n’est d’ailleurs « pas porteuse de morcellement mais au contraire, de régénérescence des liens ». Ce mode de vie en cohérence avec l’époque répond en effet aux valeurs individualistes et à l’injonction sociale. Le spécialiste, auteur de L’Amour fissionnel, le nouvel art d’aimer (Fayard, 2004) y voit également une manifestation de l’émancipation féminine.
« Cet amour fissionnel (par opposition à fusionnel, ndlr) est ainsi caractérisé par la possibilité d’une vie séparée : le couple se ménage, même sur un mode mineur, le droit de ne plus être en couple. Nombreuses sont les veuves, les divorcées qui après avoir vécu une première relation fusionnelle, entièrement dévouées à leur époux, préfèrent ne pas partager le même toit que leur nouveau compagnon. » Concrètement, quelles sont les conséquences pour les couples mariés, de vivre leur relation à part ? « Cela présuppose davantage de clarté, de transparence entre eux que dans une relation traditionnelle, relève le sociologue. Les couples construisent quelque chose de nouveau, ne se basant sur aucun modèle. La communication est donc primordiale. » Ainsi que « beaucoup de confiance mutuelle et de largesse d’esprit » reprend Kenza, que cinq minutes de vélo séparent de l’appartement de Farid. « Au début, j’étais inquiète… Mais le temps m’a démontré qu’il était un mari honnête et très respectueux. »
Vivre ainsi alternativement avec et sans l’autre est leur seul moyen de se réaliser et de se préserver selon Farid. D’autant plus que son « planning décalé de routier permet une relation à distance, enchaînet-il. Ensemble, nous sommes pleinement disponibles l’un pour l’autre. Et bien que nous soyons mariés, nous sommes surtout libres, enfin nous ! » Pour Kenza, cette formule à deux adresses un peu spéciale « pourrait paraître délicate pour les projets communs mais à côté de ça, je suis pleinement épanouie, disponible et souriante pour lui chaque fois qu’il rentre de ses semaines intermittentes. C’est encore plus fort, comme un rendez-vous galant où on ne garde que le meilleur ! Moins on passe de temps ensemble, plus on se manque, on se découvre, on se désire… La surprise, l’inattendu nous boostent certainement. C’est plutôt agréable ! » Et une bonne chose pour Serge Chaumier même si « l’éloignement peut créer le danger. Le risque de rencontrer quelqu’un suscite de l’excitation, une recharge de désir chez l’un comme chez l’autre. La distance permet aussi de moins s’endormir sur une relation ronronnante. En habitant sous le même toit, le danger est de devenir invisible aux yeux de son partenaire. Et puis, c’est parce que l’on se sépare que l’on a du plaisir à se retrouver ». Cela dit, Kenza avoue avoir aussi besoin de ne pas être en permanence sous le regard de l’autre. « Je n’ai pas d’enfant, contrairement à Farid qui a les siens en garde alternée. Comme lui, ma vie est un va-et-vient permanent. Et parfois, je me sens tiraillée… Farid a une maison tandis que j’en ai deux. J’aimerais un jour vivre dans notre maison, celle que l’on aura choisie ensemble. Quand ses enfants auront moins besoin de lui mais dans un espace avec une séparation entre son univers et le mien… en espérant toutefois, ne pas rompre le charme ! »
LA LIBERTÉ EST ILLUSOIRE
Il va sans dire que pour Malika, étudiante de 26 ans, et son compagnon, ce choix de vivre chacun de son côté, « a été plus fort que celui de faire des économies ! », s’accordent-ils à dire. Au terme d’un an de vie commune, ils ont du mal à accorder leurs envies au quotidien. « J’en suis consciente, la liberté est une illusion ! Mais aucun des couples traditionnels que je connais ne me donne envie de changer de vie… C’est vrai, une situation idéale au départ peut ensuite devenir artificielle et lourde à vivre. Nous n’avons pas les mêmes charges quotidiennes, les mêmes préoccupations, ni les mêmes besoins de solitude. Après tout, nul besoin de vivre au même rythme que l’autre pour s’aimer !, assure-t-elle. Notre entourage considère d’ailleurs qu’avoir chacun son appartement dans le même immeuble, n’est pas normal. Soyez rassurés, très amoureux, nous vivons une saine relation. Quand je suis chez moi, je mène une vie de bohème. Ma vie ne se construit plus autour de lui mais en fonction de moi. Je suis contente quand il arrive, contente de me retrouver seule quand il repart. J’ai aussi mes propres amis que je vois seule, lui a les siens et quelques amis communs à notre couple. C’est notre façon d’oxygéner notre couple. Cela pourrait s’éterniser tant que le désir d’enfant ne se fait pas sentir. » D’ailleurs, beaucoup de couples alternent entre des périodes de vie commune et noncohabitante selon Serge Chaumier. « Or les couples qui n’arrivent pas à s’entendre ne font pas tellement de vieux os en étant non-cohabitants. La plupart du temps, ils ne le vivent pas comme une souffrance mais en effet comme une respiration… Une opportunité de se redonner de l’indépendance, de s’affirmer sans l’autre, analyse-t-il. L’avantage est que la séparation engendre une envie de discussion. Chacun vivant de son côté des expériences différentes, il aura envie de les partager avec son partenaire. Alors que quand on est tout le temps ensemble, on n’a plus grand-chose à se dire… Pas question pour autant de fuir les mauvais moments. Un couple non-cohabitant est avant tout… un couple ! S’il y a de l’amour, les coups durs seront forcément partagés, que le couple habite ensemble ou non. D’autant plus qu’un tel mode de vie est tout à fait durable. Un même couple, va pouvoir vivre, selon les moments, des périodes plus ou moins fissionnelles. Avec toujours le même pari, celui de mieux s’aimer. »
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