On a toutes déjà ressenti un coup de blues : pendant quelques jours, le monde devient noir, on n’a plus envie de rien, on se laisse aller… C’est la déprime. Mais lorsque cette situation s’installe dans le temps, on parle de dépression. Comment réagir ? On fait le point avec la psychologue Amélia Lobbé1.
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Ca commence par des idées noires. On se demande à quoi l’on sert, à quoi rime notre vie, ce que nous réserve le futur… Et on se met à pleurer, sans raison, parfois même en pleine journée. La dépression concerne environ 3 millions de personnes en France ; les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes. Le problème avec la dépression, c’est que, bien souvent, le grand public ne considère pas cela comme une « vraie » maladie. « Lorsque j’ai commencé à me sentir mal, ma famille n’a pas du tout compris mon état, se souvient Assia2, 28 ans, qui se bat contre une dépression depuis maintenant deux ans. Ils me disaient que je n’avais aucune raison de me conduire comme ça, de penser aux gens qui avaient des maladies graves… On s’est beaucoup disputés. » « Un soir, alors que je pleurais (encore) pour rien dans le canapé, mon mari m’a dit d’arrêter mon caprice, confie Faïza, 30 ans. Sur le moment, ça m’a fait beaucoup de mal. » Pourtant, d’un point de vue strictement médical, la dépression nerveuse constitue bel et bien une maladie psychique – comme l’anorexie ou les troubles bipolaires. Concrètement, en cas de dépression, le cerveau fonctionne différemment : la production de sérotonine, de dopamine et de noradrénaline – des « messagers chimiques » essentiels à notre bien-être – diminue considérablement. De ce fait, toute l’activité du corps ralentit : « J’étais agressive avec tout le monde, raconte Nadia, 25 ans, je pleurais en permanence. Je ne dormais plus. » Nour, 34 ans, décrit sa maladie comme un long tunnel, très noir : « Plus rien n’avait d’importance à mes yeux. Je ne mangeais quasiment plus, j’ai arrêté de sortir, je dormais pendant la journée. » Les choses se sont passées un peu différemment chez Assia : « J’ai vécu des “crises de ménage”. Je crois que, quelque part, j’avais l’impression de contrôler au moins un truc dans ma vie. » « Chacun va vivre la dépression à sa manière, explique la psychologue Amélia Lobbé. Mais, certains signes ne trompent pas : baisse de moral importante, troubles du sommeil et de l’appétit, sentiment d’inutilité, idées négatives, difficulté à se concentrer, hypersensibilité… » Parfois, l’issue est fatale : d’après les statistiques, environ 7 % des personnes dépressives décèdent par suicide. « En l’espace de deux ans, j’ai fait cinq tentatives de suicide, confie Nour, aujourd’hui maman de deux enfants. Ma religion n’y changeait rien : je voulais juste arrêter de souffrir. La première fois, je me suis enfermée à double tour chez moi, j’ai avalé tous les médicaments que je pouvais et je me suis coupé les veines. Je me suis réveillée à l’hôpital avec un terrible sentiment de déception. Je n’avais tout simplement plus goût à la vie. »
« J’ai eu l’impression que le monde s’écroulait »
Le plus souvent, la dépression est déclenchée par un événement malheureux. Pour Assia, c’était un désir d’enfant déçu : « J’essayais d’avoir un bébé depuis plusieurs années. Et un jour, ma meilleure amie m’a annoncé qu’elle était enceinte : elle avait arrêté la pilule depuis quatre semaines seulement. Là, j’ai craqué. » Pour Faïza, ce fut un décès : « Mon père, à cause du cancer. Tout d’un coup, j’ai eu l’impression que le monde s’écroulait. » Et pour Nadia, 25 ans, c’était juste une accumulation de plusieurs petites choses : « J’ai déménagé loin de ma famille, mon job se passait mal, ma vie amoureuse n’allait plus non plus, mon papa est décédé… De fil en aiguille, j’ai sombré. » Nadia a compris que la situation était grave lorsque les crises d’angoisses ont commencé : « Je n’en avais jamais fait. J’ai eu vraiment peur : c’était plus gros qu’une déprime. » Faïza, elle, s’est inquiétée en voyant que sa situation ne s’améliorait pas : « D’habitude, quand je me sentais triste, ça passait au bout de deux ou trois jours. Là, trois semaines après, j’étais toujours au fond du trou. »
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Réagir immédiatement. En cas de dépression, il est essentiel de réagir très rapidement, afin que la maladie soit prise en charge au plus vite. Aussi, si vous pensez que votre proche souffre de dépression, incitezle à consulter un professionnel – médecin généraliste, psychiatre, psychologue – au plus vite. En cas de refus, vous pouvez vous-même contacter son médecin traitant pour une visite à domicile, voire appeler un numéro d’urgence – le 15 – pour les cas les plus extrêmes.
Écouter et rassurer. Il est totalement inutile d’abreuver la personne de « bons conseils », du style « si j’étais toi… » : au contraire, cela ne fera que renforcer sa culpabilité ! À la place, vous pouvez la rassurer en lui répétant que vous comprenez ses difficultés, que ce n’est pas sa faute, qu’elle n’est pas seule et qu’elle n’est pas folle – inquiétude assez répandue chez les malades.
Apporter de l’aide. Lorsque l’on souffre de dépression, les petites tâches de la vie quotidienne peuvent vite devenir insurmontables : l’aide de l’entourage peut donc devenir précieuse. Proposez à votre proche de faire ses courses, de garder ses enfants, de faire son ménage… Vous lui faciliterez la vie ! N’hésitez pas non plus à lui proposer régulièrement des sorties, sans insister : ainsi, vous laisserez une « porte ouverte » vers un retour à la vie active.
Prendre soin de soi. Vivre au quotidien avec une personne dépressive, cela peut rapidement devenir compliqué. Aussi, si vous vous sentez « au bout du rouleau », n’hésitez pas à prendre quelques heures – voire quelques jours – rien que pour vous : un temps qui sera bénéfique pour vous comme pour votre proche malade !
« Non, ce n’est pas une question de volonté ! »
Les spécialistes sont catégoriques : pour soigner une dépression, la volonté seule ne suffit pas. «Il est indispensable de consulter un médecin afin d’établir un diagnostic et de bénéficier, au besoin, d’un traitement médical » affirme Amélia Lobbé. « La dépression est une maladie sérieuse ; pas question de pratiquer l’automédication ! » Les médecines naturelles ? Pas efficaces, selon Assia : « Mon naturopathe m’a prescrit des comprimés aux plantes – de l’euphytose. Ça ne m’a rien fait : je crois que ça ne fonctionne que sur les petites déprimes. » Le plus souvent, les professionnels proposent des antidépresseurs : ceux-ci sont prescrits pour une période de six mois et servent principalement à soigner le corps : « C’est une béquille chimique » précise la spécialiste. Les médicaments, Assia en garde également un mauvais souvenir : « À cause des anxiolytiques, je dormais en permanence. J’ai pris beaucoup de poids. Avant, j’étais vive et coquette, là, j’étais devenue un zombie. » Même ressenti du côté de Nour : « À l’époque, je prenais 25 comprimés par jour. J’étais shootée, je faisais des hallucinations, j’ai même vécu une crise d’épilepsie. Les médicaments ne traitaient que les symptômes : ma tête, elle, allait toujours aussi mal. Je n’ai commencé à aller mieux que lorsque j’ai rencontré “le” bon psychologue. » « En complément, il est très profitable de consulter un psychologue, confirme Amélia Lobbé. Se sentir écoutée et comprise, c’est important. Les antidépresseurs ne soignent pas l’esprit et ne permettent pas de comprendre les causes de la dépression. » « C’est mon médecin traitant qui m’a conseillé de voir un psychologue, raconte Nadia. J’étais un peu réticente : pour moi, aller chez le psy, c’était une honte ! J’ai pris rendez-vous en cachette : je ne l’ai même pas dit à ma mère. Mais très vite, je me suis rendu compte que ça me faisait du bien : il y avait enfin une personne qui m’écoutait “vider mon sac” sans me juger.
Le témoignage de Nour, 34 ans :
« En l’espace de deux ans, j’ai été internée douze fois contre mon gré : je souffrais d’une profonde dépression. La première fois, après une tentative de suicide, ça a duré deux semaines. J’ai très mal vécu mon séjour : à cause des médicaments, j’étais shootée et je côtoyais des gens vraiment effrayants, comme cet homme qui se prenait pour Jésus et qui a essayé de m’agresser à de multiples reprises. Je suis retournée à l’hôpital plusieurs fois, car j’étais un danger pour moi-même. Au bout d’un moment, mes parents ont essayé de me placer en clinique : au total, j’en ai testé sept différentes. À force d’être avec les fous, je pense que je devenais vraiment folle… Et puis, un jour, j’ai atterri dans une clinique vraiment différente. J’y ai rencontré un psy qui m’a redonné goût à la vie. J’ai réappris à rire, à vivre. Je pense qu’il faut choisir son établissement avec beaucoup de soin : les hôpitaux psychiatriques peuvent faire beaucoup de mal. Aujourd’hui, je suis une ex-dépressive, la vie est précieuse pour moi, et mes enfants sont mes soleils. »
ll m’a aidée à mettre de l’ordre dans ma tête, deux fois par semaine. » Faïza aussi a eu du mal à dépasser ses préjugés : « Le psy, dans ma famille, on a toujours dit que c’était pour les fous. Alors le jour où ma meilleure amie m’a donné les coordonnées du sien, ça a été dur. Mais finalement, je crois qu’il m’a aidée. Au bout de cinq séances déjà, je dormais mieux et je pleurais moins. » Amélia Lobbé insiste sur l’importance de choisir « le bon psy » : « C’est une question de feeling. Si vous ne vous sentez pas à l’aise avec un spécialiste, n’hésitez pas à changer. Et bien sûr, choisissez un professionnel en dehors de votre cercle familial et amical… » « Se sortir d’une dépression, c’est très long : ça prend au moins six mois, précise la psychologue. C’est un moment très difficile à passer pour toute la famille. » Une situation qu’Assia connaît bien : « Ma dépression a débuté en décembre 2014. Depuis, j’ai l’impression de faire vivre un enfer à mon mari : il me soutient au quotidien mais je sens bien que c’est une souffrance pour lui aussi. Des fois, j’ai envie de lui dire “Vas-y, quitte-moi, trouve-toi une femme avec moins de problèmes” ». « Nous ne parlions jamais de ma dépression en famille, se souvient Nadia. Ils savaient que j’avais des soucis, mais ils évitaient soigneusement le sujet : il y avait beaucoup de pudeur… et de tabous. Dans mon cercle amical, c’était un peu plus nuancé : mes amies m’écoutaient mais ne me comprenaient pas. Parfois, elles me disaient : “Secoue-toi, ça va aller !” et je me sentais encore plus mal ! C’est pour ça que le psy est si important : c’est une oreille neutre. On sait qu’on ne va pas le saouler avec nos ennuis. »
2Les prénoms ont été modifiés.
L’hôpital psychiatrique, le dernier recours
Si, dans l’immense majorité des cas, la personne dépressive guérit grâce à un traitement médicamenteux et à une psychothérapie, dans certaines situations plus délicates, une hospitalisation en psychiatrie – hôpital public ou clinique privée – est nécessaire.
Deux possibilités : lorsque le patient a l’impression d’être « au bout du rouleau », il peut demander de lui-même à être hospitalisé, comme un « temps de repos ». Il faut alors faire la demande à son médecin traitant, à son psychiatre ou directement à l’hôpital le plus proche. Mais lorsque la situation est grave – risque de suicide, danger pour soi-même ou pour les autres –, il est possible de demander l’hospitalisation d’un proche sans son consentement : il s’agit d’une hospitalisation sous contrainte. Là, une procédure très stricte s’enclenche : les détails sont disponibles sur le site du Service Public (www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F761). •
Quelques contacts utiles :
L’Association France Dépression (www.france-depression.org) soutient les personnes dépressives et leurs proches : il y a au moins un groupe de parole par région. KLa ligne Suicide Écoute (01 45 39 40 00) vient en aide aux personnes confrontées ou tentées par le suicide. KEnfin, la ligne Écoute-famille (01 42 63 03 03) soutient les familles ayant un proche en souffrance psychique.
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