« Tracteur », « taxieur », « tonobil »… Certains mots français sont ainsi transformés pour mieux s’adapter à la langue algérienne. Puisant une majeure partie de son essence à travers l’arabe et le berbère, la langue algérienne façonne son identité par le métissage.
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L’algérien de la rue est une langue trilingue, un mélange de français, d’arabe et de kabyle. » Cette citation du célèbre comédien Fellag décrit parfaitement la langue algérienne parlée de nos jours. L’arabe littéral est pourtant la langue officielle, mais reste très peu parlé. L’Algérie se place d’ailleurs deuxième au rang des pays francophones après la France. « Il y a un métissage car nous sommes un peuple ouvert, adapté aux phénomènes linguistiques », précise Rachida Kalfat Rostane, professeur à l’université de Tlemcen, spécialiste des langues sémitiques et anthropologue. En Algérie, on parle le « darija », un dialecte dont le terme est cependant très controversé par ceux qui qualifient l’algérien de langue à part entière. Quand ils sont utilisés, les mots français sont transformés et adaptés à l’algérien, comme « taxieur » (taxi) ou « borouetta » (brouette). Les produits étrangers qui portent des noms à consonance française et évocatrice de l’ailleurs sont également concernés, tels que « cocota » (cocotte minute), « frigidaire », « dentifrice »… Rachida Kalfat Rostane parle alors de « mixité langagière ». « Le résultat de la langue algérienne d’aujourd’hui est une syntaxe arabe venue se greffer sur des mots français », précise-t-elle.
Un métissage historique
Bien qu’il soit fortement utilisé dans les administrations notamment, le français n’est pas reconnu comme seconde langue officielle dans le pays, mais est enseigné comme langue étrangère. Pour comprendre pourquoi la langue française est utilisée en Algérie, il faut effectuer un retour dans le temps. La langue algérienne a emprunté certains termes à la France, présente pendant plus d’un siècle dans le pays. « Il est bon de signaler que la présence d’un lexique français dans notre langue algérienne est liée, comme dirait Jean-Jacques Rousseau, à un phénomène passionnel, né du sensible et non d’un besoin naturel. Pour répondre à l’horreur de la guerre en Algérie et appeler à son indépendance, il fallait que Dib, Maméri, Ferraoun utilisent une arme linguistique, la langue du colonisateur pour s’adresser à l’ennemi », ajoute la spécialiste. L’algérien trouve aussi son origine dans le plurilinguisme. « Cette langue est l’héritière des langues de la Gétulie de la Numidie, des Latins et des Grecs, de la langue punique chargée du Tashalhit de Boussemghoun, du tamazight de Tizi, du tafinight du Hoggar, du tamzabit de Ghardaïa, ou le taqbaylit, kabyle, enrichi par la langue du Coran », ajoute Rachida Kalfat Rostane. Après le départ des Français, seule une élite parlait l’arabe classique. Afin d’arabiser la majeure partie de l’Algérie, le pays a fait appel aux Orientaux, Egyptiens, Syriens… « Mais la transmission ne s’est pas faite correctement », précise-t-elle.
L’enseignement du français à l’école
« Tirer profit d’une langue autre que notre langue maternelle n’est que richesse à tous les niveaux : culturel, sociologique, scientifique.… Ce butin linguistique ne peut que présenter des aspects positifs », note Rachida Kalfat Rostane. Aujourd’hui, en Algérie, beaucoup d’habitants envoient leurs enfants dans des écoles françaises pour leur permettre d’avoir, selon eux, un avenir professionnel prometteur. Pour notre spécialiste, il est clair que l’élite moins arabisée recherche un certain confort linguistique qui est rentré dans l’usage. Si le français est enseigné dès la seconde année de primaire, au niveau secondaire, l’arabe est bien plus dominant.
« Arrivé à la fac, l’étudiant en sciences perd tous les atouts de la langue arabe et gagne en confrontation linguistique, d’où les incompréhensions, le dégoût », indique le professeur. Malgré son passé avec l’Algérie, la France reste le pays qui influence le plus les jeunes aujourd’hui, non seulement au niveau culturel, mais aussi linguistique. La démocratisation des outils de communication, comme les antennes paraboliques et Internet, y sont d’ailleurs pour quelque chose.
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