Certaines peurs nous envahissent tant qu’elles nous mettent dans un état second. Mais comment naissent-elles ? Pourquoi ? Et, surtout, peut-on vraiment les apaiser ?
Des hurlements impossibles à réfréner, un mal-être qui peut aller jusqu’à l’évanouissement… Certaines de nos terreurs nous envahissent tant que nous ne savons plus comment les gérer. Sait-on vraiment ce qui différencie ces phobies des peurs que l’on dira plus « classiques » ? Psychiatre et directrice santé mentale pour la plateforme de consultations en ligne Qare, Fanny Jacq explique : « La phobie se distingue de la peur par ce qui la déclenche, et par l’ intensité des réactions qu’elle suscite. La peur est une émotion nécessaire. Elle survient en certaines circonstances (à l’occasion d’un incendie, d’un cambriolage, d’une agression…) et provoque de “bons” changements physiologiques dans notre corps, à savoir la sécrétion d’adrénaline, qui nous permet de trouver la force d’affronter ou même de fuir. La phobie, elle, est une peur trop intense qui survient sans véritable logique, et dont les symptômes sont toujours démesurés, sans rapport avec la situation. » D’après les professionnels de santé, environ 10 % de la population souffrirait d’une phobie (une légère prévalence étant constatée chez les femmes). Et, pour ceux qui en sont victimes, le « catalogue » est sans fin ! « On dit qu’il y a autant de phobies que de jours dans l’année. Certaines sont très étonnantes, totalement irrationnelles. J’ai connu des patientes qui avaient la phobie du jaune, par exemple ! », poursuit Fanny Jacq.
DES PEURS ABSURDES ET POURTANT BIEN RÉELLES
Il y a quelques semaines, sur nos réseaux sociaux, nous avons lancé un appel à témoins auquel vous avez été nombreuses à réagir. Vos phobies nous ont, effectivement, parfois beaucoup surpris, à l’image de celle d’Anissa : « Depuis que je suis bébé, je suis phobique des sapins. Ma mère l’a compris alors que j’avais moins d’un an. J’en ai 30 aujourd’hui, et cela m’empêche de faire des choses. Les balades en forêt, par exemple, ce n’est pas pour moi ! » Une abonnée sur Instagram nous a, quant à elle, raconté sa phobie… des éoliennes ! « Cela fait beaucoup rire mon entourage, mais, lorsque j’en vois sur ma route, je suis très mal à l’aise. J’ai le cœur qui accélère et je ressens une vraie peur. » « Moi, nous dit une autre lectrice, j’ai peur des plantes vertes au point de cauchemarder. Ces grosses plantes qui dégringolent, j’ai l’ impression qu’elles vont m’attraper dans leurs tiges, c’est horrible ! Un jour, dans la salle d’attente de mon kiné, j’ai même fait un malaise. Quand j’ai vu qu’il y avait une plante, j’ai préféré attendre mon tour à l’extérieur, mais, de temps en temps, je venais malgré tout jeter un œil pour voir si elle ne bougeait pas. À un moment, j’ai cru la voir arriver doucement vers moi… Et là, boum ! Je me suis évanouie. » Anna, elle, ce sont les étiquettes autocollantes qu’elle ne supporte pas. « Si j’en vois une sur un objet que l’on m’offre, je ne peux pas du tout le toucher. S’il y en a une sur un fruit ou un légume, soit je le jette directement, soit je le passe longuement sous l’eau. Voir ces papiers collés m’écœure violemment. Je ne sais absolument pas d’où cela vient, mais c’est comme ça… »
QUAND LA TRYPOPHOBIE ENVOIE AU FOND DU TROU
On l’a dit, les hommes sont également touchés. De Marrakech, où il vit, l’ancien rappeur Larsen, devenu le très médiatisé chef Hacène, nous a contactés pour nous raconter son quotidien de trypophobe. Parmi les plus répandues et pourtant peu connue, sa phobie, peut entraîner chez lui une grosse anxiété, des démangeaisons, des frissons, un violent mal au cœur à la simple vue… de trous (dans l’emmental, dans des végétaux, sur un mur, dans des objets, ou même sur un dessin). La seule vision du menu de sa montre connectée – Apple n’ayant rien trouvé de mieux que de l’animer avec de multiples petits cercles – l’a fait se sentir très mal, au point de briser la montre en question ! Enfin, n’oublions pas ces autres phobies, que l’on pourra juger « politiquement incorrectes », mais qui sont tout aussi irrationnelles : celles des roux, des blonds, des handicapés, des Asiatiques, des Arabes… « Je ne suis pas raciste, je vous assure ! Mais si je vois un black dans la rue, je traverse pour l’éviter, nous a raconté une lectrice.
Et, dans les transports en commun, je m’éloigne tout de suite. Cela m’embête beaucoup, mais je n’y peux absolument rien. »
QU’ELLES EN SONT LES CAUSES ?
Selon Fanny Jacq, les mécanismes provoquant ces peurs illogiques demeurent bien souvent mystérieux. « Un psychologue va commencer par chercher à savoir si, derrière, il ne se cache pas un événement traumatisant nécessitant d’être traité. Par exemple, on peut avoir développé une phobie de la voiture après un accident de la route. Ou une phobie des chiens après avoir été mordu. Mais on sera, dans ce cas, plus proche du stress post-traumatique. Ce ne sont pas les cas les plus fréquents. » La biologie serait-elle en cause, alors ?
« Certains le pensent. Les glandes surrénales, qui libèrent l’adrénaline, peuvent être plus ou moins actives. Les personnes chez lesquelles elles sécrètent le plus cette hormone seraient davantage sujettes aux phobies. » Et l’éducation, dans tout ça ? Sachant qu’elle influence nécessairement nos schémas de pensée, pourquoi ne jouerait-elle pas un rôle dans nos peurs les plus terrorisantes ? « Si vous avez été élevé aux côtés d’une maman qui grimpait sur sa chaise dès qu’elle voyait une araignée, vous aurez de fortes probabilités de connaître la même phobie, en effet ! Mais cette explication ne suffit pas. Dans la plupart des cas, on ne parvient pas à trouver un lien qui puisse expliquer la phobie », affirme la psychiatre.
VAINCRE SES PHOBIES, C’EST POSSIBLE
Comment guérir, alors ? En cherchant à comprendre sa peur, pour la faire taire – ou au moins l’apaiser. « La psychothérapie peut aider à tirer le fil, jusqu’à trouver l’origine, indique Fanny Jacq.
La lectrice qui a peur des personnes de couleur noire se défend d’être raciste, et il n’y a aucune raison de ne pas la croire. Peut-être faut-il aller chercher dans son enfance ou dans sa culture familiale : il peut suffire que, toute petite, elle ait entendu quelque chose de négatif – le récit d’une agression, par exemple – ou qu’elle ait eu une lecture marquante pour que la peur se déclenche et s’étende peu à peu. Mais cela n’a pas forcément été le cas. Encore une fois, une phobie n’a souvent aucune explication particulière ! » Reste donc à apprendre à vivre avec. Et ce, en dépit des regards souvent moqueurs de son entourage. « Il ne faut pas oublier que la souffrance des phobiques est vraiment très importante. Mais tout est tellement démesuré, chez eux, que cela devient incompréhensible pour les autres !, conclut Fanny Jacq. À la décharge de ces derniers, il est vraiment étonnant de voir quelqu’un réagir face à une éolienne, une étiquette sur un mug ou une plante verte, de la même façon que s’il voyait des cambrioleurs
armés entrer chez lui ! »