L’une des motivations de nos parents pour venir travailler en France et accepter sa dureté, c’était l’espoir de construire une maison au bled, la plus belle possible… Les nouvelles générations n’ont pas oublié ce rêve !
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J’ai toujours vu ma mère regarder les belles maisons dans la banlieue où nous habitions. Nous, c’était plutôt à dix dans un HLM, mais il y avait le côté plus résidentiel. Elle disait : vous verrez, on va construire une maison plus belle que ça en Tunisie, du côté de la Marsa, chez les bourgeois ! », témoigne Rafika. Son père était éboueur, il travaillait dur et se débrouillait aussi pour exporter les « fripes » qu’il trouvait dans les poubelles, pour les revendre là-bas et amasser un pécule sur place. Seulement voilà, quand enfin ils ont trouvé le plan idéal pour construire et que le plan d’architecte a été validé, une tuile est arrivée : la personne chargée de gérer les transactions et les travaux s’est enfuie en Algérie avec l’argent de toute une vie de labeur… Sa mère a cessé de sourire depuis, mais Rafika lui a fait la promesse qu’elle construirait pour elle. D’autres histoires sont plus simples… Farid et Samir sont deux frères. Leurs parents ont déjà une maison en Tunisie dont ils profitent pendant les vacances. Ils l’ont bien sûr agrandi en prévision des prochains mariages, sans songer que leurs fils voudraient leur propre maison. Ce qui pose un problème dans la famille où tout cela est perçu comme du luxe. Surtout, pour le père, Béchir : « A quoi ça sert d’avoir une maison et de dépenser 800 dinars le mètre carré pour construire à quelques mètres, sur mon terrain, alors que je peux agrandir pour trois fois rien…» Puis il ajoute en soupirant : « Ils ont de la chance d’avoir de l’argent qui leur chatouille les poches ces jeunes ! Pourquoi pas la piscine en plus, alors qu’on est en bord de mer ! » Peu importe, les jumeaux ne cèderont pas et le père, le prenant comme un affront, jure de ne jamais y mettre les pieds. « J’ai construit cette maison pour eux, c’est à eux de venir », conclut-il avant de se lever, la main tremblante sur le pommeau de sa canne.
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LE BON TERRAIN
On est étonné, lorsque l’on parcoure les routes écartées du Maghreb, de voir une série de maisons en construction qui semblent un peu en « arrêt sur image » dans cet état-là, d’une année à l’autre. C’est que les complications vont bon train. Quand il s’agit de terrain, on touche le problème numéro un : l’héritage ! En effet, les calculs de partage sont tellement compliqués, et les familles si nombreuses et souvent éparpillées, qu’il n’est pas rare que quelqu’un arrive avec une notification de la mairie et deux témoins qui indiquent qu’il faut racheter des parts à encore une dizaine de personnes dont la moitié ne veulent de toute façon pas entendre parler d’une vente ! Il faut véritablement faire attention à se rendre au cadastre et tout vérifier en ce qui concerne la légalité. Car si vous croyez économiser en passant par les dessous de table, vous risquez de le payer cher très vite ! Comme le conseille Jamal, échaudé par un terrain bloqué et comptant à nouveau se lancer du côté de Fès, « il faut acheter à un endroit où l’on connaît du monde et où il y a un commissariat de police, même si ça n’empêche pas la corruption. Faire vérifier par un géomètre que ce n’est pas une zone inondable ou autre. Passer par le notaire pour payer et faire des virements bancaires, et non un change au noir. » Et se méfier de tout le monde, car la famille est malheureusement souvent la première à spolier certains héritiers, particulièrement lorsqu’ils viennent de France où on les estime déjà assez heureux comme ça… Jamila, la soixantaine, rêvait ainsi de finir ses jours à Djerba, sur les terres de sa propre mère. Elle a eu la vie dure ici : les ménages, la solitude avec ses quatre enfants et un mari démissionnaire. Un jour, quelqu’un lui a téléphoné de manière anonyme : « Il faut que vous veniez vite, il y a une nouvelle maison sur votre terrain.» Son sang n’a fait qu’un tour ! Elle a téléphoné à son frère aîné qui vit sur place et où elle ne s’était pas rendue depuis cinq ans. Quand elle a évoqué le sujet, il lui a raccroché au nez. En creusant davantage, elle apprend que son frère a vendu illégalement le terrain, sans la signature de ses frères et sœurs, établissant des faux à tout va. « Et dire que ma mère nous avait fait jurer sur son lit de mort qu’on ne vendrait pas son terrain ! Je ne comprends pas, mon frère n’est même pas à plaindre financièrement ! J’ai appelé le constructeur de la maison, il ne veut rien entendre et je le comprends. Depuis, je vais une fois par mois là-bas pour faire avancer le dossier mais je me retrouve face à un véritable dilemme : si je fais éclater la vérité, mon frère risque la prison, et moi, on me crachera à la figure pour ça ! » Pourtant, elle est décidée à se battre. Construire et accueillir ses enfants et ses petits-enfants là-bas a été sa seule lumière quand elle prenait le premier métro aux aurores…
CONSTRUIRE À TOUT PRIX ?
Souvent, on se demande si cet entêtement de la construction est plutôt anthropologique ou économique, tant cela reste une notion importante chez les immigrés, même nouvelle génération ! Une chose est sûre, il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de se saisir des terrains familiaux. Souvent, les candidats ne demandent que les coûts des sacs de ciment par 50 ou 100 kg alors que si le terrain est éloigné ou en colline, le transport est ruineux (si la pente est supérieure à 50 %, par exemple, les camions ne montent pas chargés, il faut payer des gens pour faire la suite du trajet). Ensuite, il faut que ce soit un endroit où une surveillance de confiance est possible ! Car entre les vols et détournements de marchandises, les journées chômées, le matériel détérioré comme ces sacs de ciment laissés sous la pluie que beaucoup reconnaîtront (retrouvés durcis sur place et inutilisable), les devis trafiqués sur lesquels les intéressés font « fifty-fifty », les installations sanitaires et électriques défectueuses… Le chemin est souvent bien plus long et plus ru