En couple avec un détenu ou un homme qui a purgé une longue peine, des Gazelles ont vécu ou vivent l’amour au parloir. Une expérience forte, qui leur a parfois permis de se construire, d’une certaine manière. Témoignages.
Sarah, 28 ans : « Ma santé a été impactée, je me suis mis ma famille à dos »
« J’ai rencontré un homme à l’aube de mes 19 ans. Lui en avait 22. J’ai ressenti un coup de cœur : son allure de méchant garçon, son charisme, ses belles paroles, son attitude désinvolte m’ont fait tomber amoureuse. J’étais folle de lui. Pourtant, sa réputation le précédait : il sortait tout juste de prison, où il avait passé cinq ans après un car-jacking. Mais, jeune et naïve, je pensais qu’il était en train de se reconstruire. Le temps passait. Il y avait des absences, des semaines sans nouvelles de lui. Je me doutais de quelque chose, mais je restais. Un jour, il est retombé pour stupéfiants. Quand j’ai appris son emprisonnement, je n’ai même pas été choquée. J’ai subi un interrogatoire au cours duquel les enquêteurs m’ont révélé des tromperies, des choses sordides. Le plus étonnant, c’est que je suis restée avec lui. La prison se trouvait à 600 kilomètres, et je faisais des allers-retours toutes les semaines pour le voir. J’ai tout fait pour qu’il ne manque de rien. Mon meilleur ami essayait de m’ouvrir les yeux – j’avais tellement maigri que je n’avais plus que la peau sur les os, ma santé a été impactée, je me suis mis ma famille à dos… Et j’ai découvert que d’autres femmes rendaient visite à mon compagnon. J’ai été trompée, malgré tous mes sacrifices. J’ai, finalement, décidé de le voir encore une dernière fois. Je l’ai serré fort dans mes bras, j’ai pleuré ; lui ne comprenait pas. Je suis rentrée chez moi, et je ne lui ai plus jamais donné de mes nouvelles. On pourrait dire que je me suis enfuie comme une lâche, sans explication, mais je savais qu’il m’aurait retourné le cerveau si nous avions parlé. Depuis, il est sorti de prison. Il a fait sa vie, tant mieux pour lui. Moi, j’ai gagné en maturité. Je suis aussi devenue plus méfiante, et j’ai perdu confiance en moi, mais la fin s’est malgré tout révélée heureuse : j’ai compris que mon meilleur ami était l’amour de ma vie. Nous sommes aujourd’hui mariés, nous avons deux enfants, et je suis une femme comblée. Je considère désormais qu’un homme rallié à la rue le reste à tout jamais. »
Jamila, 51 ans : « Je ne veux pas que ma fille ait une vie de parloirs »
« Ma fille de 23 ans est en couple avec un homme de 25 ans, un garçon issu d’un quartier et incarcéré pour trafic de stupéfiants. C’est difficile pour moi. Je suis dépassée. Il y a deux ans, mon ex-mari nous a laissés, nos trois enfants et moi, pour une autre femme. Je dois tout gérer seule. J’ai fait trois tentatives de suicide – j’ai eu une bonne éducation, je suis croyante, je sais que c’est haram, mais je perds pied. J’ai du mal à accepter que ma fille soit en couple avec une personne en détention. Je l’ai appris un jour où elle a reçu un courrier du ministère de la Justice : j’ai paniqué en voyant le logo sur l’enveloppe, j’ai ouvert la lettre, il s’agissait d’une demande de parloir. Nous avons eu une grosse dispute – je sais que je n’avais pas à ouvrir son courrier. Depuis, elle va le voir tous les samedis. Si son père était là, elle ne le ferait pas, mais lui ne sait rien, ne voit rien, n’entend rien. La situation est tendue entre ma fille et moi : elle a subi notre séparation, mes tentatives de suicide. Pour elle, son copain est l’amour de sa vie. Elle vient de trouver un travail au sein d’une banque. Elle a pour objectif de prendre un appartement et de faire sa vie avec lui, une fois qu’il sera dehors – elle me dit toujours que sa date de sortie est proche, mais je ne la connais pas exactement. Elle ne me raconte pas tout, et je crois que, de toute façon, je préfère ne pas tout savoir. Il lui dit qu’il a changé, qu’une fois dehors, il se rangera et trouvera du travail. Mais au fond de moi, je sais qu’il n’arrêtera pas ses bêtises. J’ai la hantise qu’il recommence. Je ne veux pas que ma fille ait une vie de parloirs. Je ne veux pas d’un mari comme lui pour elle. Certes, c’est le mektoub, comme on dit, mais je suis perdue. Il m’arrive de la déposer en voiture au parloir. Mais, par exemple, cela m’agace qu’elle apporte son linge à la maison pour le lui laver. Je lui dis de s’accrocher à son travail : c’est son autonomie financière qui fera qu’elle ne sera pas dépendante de cet homme, qui n’a rien à voir avec elle. J’ai pris la décision, de mon côté, de voir un psychiatre, et j’ai suggéré à mes enfants de consulter un psychologue, mais aucun n’a voulu. Je me raccroche aussi beaucoup à la religion, qui me permet de me maintenir la tête hors de l’eau. »
Anaïs, 38 ans : « Ce que nous avons vécu ensemble a renforcé nos liens à jamais »
« Une fois, alors que j’étais encore mineure, je n’ai pas eu de nouvelles de mon concubin pendant trois jours. Après des recherches auprès de ses amis, des hôpitaux, j’ai appelé plusieurs gendarmeries. Lorsque l’une d’entre elles m’a enfin répondu, un gendarme m’a lâché : « Votre conjoint a été emprisonné à Lyon. » J’ai cru que mon cœur allait lâcher, je me suis mise à pleurer et à hurler. La séparation a été horrible. Ma vie s’est arrêtée. Je me rendais au travail, j’allais voir ses parents, je lui écrivais tous les jours, je lui envoyais des mandats tous les mardis pour qu’il cantine. Tous les lundis, j’appelais la prison pour prendre rendez-vous pour les parloirs des samedis, qui duraient quarante-cinq minutes – ces parloirs étaient la seule chose que j’attendais ; la prison était devenue mon quotidien. Ensuite, j’ai entrepris de mettre le maximum d’argent de côté pour que mon compagnon et moi puissions prendre un appartement à sa sortie. Le regard des autres n’était pas un souci pour moi, car les seules personnes au courant de sa situation étaient des amis de son quartier, ses parents et ma maman. J’ai fait le choix de ne pas en parler à ma famille. Je ne voulais pas entendre de jugements, ou de conseils me disant de le quitter – je n’avais pas besoin de cela, mais de soutien. J’ai pensé à mettre fin à notre relation, pendant un quart de seconde, mais je me suis dit que tout le monde avait le droit à l’erreur, que personne n’était parfait, et, surtout, que je l’aimais. Je lui en ai cependant voulu de nous avoir fait ça et de ne pas avoir pensé à moi avant de commettre son infraction, un braquage de voiture à main armée. Mais sa situation avec ses parents était compliquée : ils l’avaient mis à la porte de chez eux lorsqu’il avait 18 ans. Son vol était un geste de désespoir… J’ai eu très peur, à sa sortie, qu’il recommence – malgré ses paroles rassurantes. Il m’a fallu du temps pour prendre conscience qu’il avait changé et que la prison lui avait fait comprendre qu’il devait arrêter ses bêtises. Il m’a dit à plusieurs reprises qu’il avait fallu qu’on l’incarcère pour qu’il saisisse vraiment. Il avait peur que je le quitte ; je lui répétais que je le soutiendrais jusqu’au bout. À sa sortie, nous avons pris un appartement, loin de son quartier – ce qui l’a aussi aidé à passer à autre chose. Cette expérience a, finalement, renforcé notre relation. Vingt-deux ans plus tard, je ne regrette rien. Ce que nous avons vécu ensemble, aussi jeunes, a renforcé nos liens à jamais. Nous avons deux enfants, aujourd’hui âgés de 13 et 16 ans. Nous attendons leur majorité pour leur raconter notre histoire. Nous ne voulons rien leur cacher – les secrets de famille ne sont jamais sains –, mais nous avons décidé d’attendre, surtout pour notre fils, car il idolâtre son père, et j’éprouve la crainte qu’il prenne en exemple cette mauvaise partie de sa vie. »