De plus en plus de jeunes femmes deviennent sugar babies pour payer leurs études, soutenir leur famille ou simplement mener une vie luxueuse. On a interrogé deux d’entre elles sur leur quotidien, leurs clients et sur les conséquences de cette expérience, bonnes ou mauvaises.
Le phénomène est difficile à chiffrer mais si l’on en croit les occurrences du hashtag #SugarBaby sur Tik Tok ou Instagram et le nombre de vidéos-témoignages sur YouTube, de plus en plus de jeunes filles auraient fait ce choix de vie. Difficile pour autant de définir de quoi il s’agit. Une sugar baby serait une jeune et jolie fille qui, en échange de cadeaux ou d’argent, prêterait sa compagnie à un homme plus âgé qu’elle, mais surtout un homme prêt à payer. Sur les réseaux sociaux, on voit ainsi plusieurs d’entre elles, parfois encore adolescentes, poster des photos de luxueux cadeaux (sacs griffés, voitures, voyages) en remerciant leur « daddy ». Au vu de ces images, on peut se poser la question : quelle est la différence entre une sugar baby, une escort ou une prostituée ? Leïla, ex-sugar baby française devenue actrice en Allemagne nous explique : « Une sugar baby est payée pour le temps passé à être avec quelqu’un. On est dédié aux désirs de l’autre, à son plaisir. » Pour Carmen, sugar baby vivant à Aix-en-Provence et étudiante en sociologie de 19 ans, « une sugar baby est une jeune femme qui s’engage dans une relation avec un homme souvent bien plus âgé qu’elle pour se faire entretenir. En soit, c’est de la prostitution avec un nombre limité de partenaires. C’est une relation exclusive “arrangée”… »
« DATES » PAYÉES
En enquêtant sur plusieurs profils, on s’aperçoit que les babies n’ont pas toutes des relations sexuelles avec leurs daddies. Mais le montant des sommes qu’elles perçoivent pour un rendez-vous ou un mois de dates est corrélé à ce qu’elles acceptent de faire. Plus elles seront généreuses en faveurs, plus le montant peut grimper. Ceci explique pourquoi de nombreuses jeunes femmes traversant une période difficile sur le plan financier se tournent vers cette pratique. « Ce qui m’a poussée à être sugar, explique Carmen, c’est la peur de la précarité. Mes parents m’ont fait comprendre qu’ils ne pourraient plus subvenir à mes besoins. Je travaille depuis que j’ai 16 ans (des jobs d’étudiant), mais j’ai tout quitté lorsque j’ai commencé mes études à 18 ans. Grâce aux daddies, j’ai réussi à trouver un logement car l’un d’eux s’est porté garant pour moi. Mais au fur et à mesure, ce qui prend le dessus, c’est l’argent rapide et facile, les voyages (auxquels, par mon milieu social, je n’avais jamais eu accès), les soirées et les contacts… Il y a énormément d’avantages. » Leïla se trouve dans un cas un peu différent : « C’est arrivé quand j’ai commencé mes études et que je suis venue à Berlin. Je travaillais toute la nuit dans un bar, pour financer l’école. Puis, un jour, une copine m’a parlé d’un site spécialisé en “dates payées”. Elle a ajouté : “Tu sais comment séduire les hommes, alors pourquoi tu n’essaies pas ?” J’ai créé un compte en ligne, parce que j’étais curieuse, et je suis devenue sugar babie. »
PRETTY WOMAN
D’autres jeunes filles parlent de leur « parcours » de sugar babies comme d’une nécessité. Elles n’avaient pas d’autre choix que de gagner rapidement de l’argent pour payer leur loyer, leurs courses ou aider leurs familles. Pourtant, ce n’est pas forcément du « cash » que perçoivent les sugar babies. Carmen souligne que, « au départ, les hommes proposent de l’argent pour mettre en place un contrat de confiance et ensuite il y a les cadeaux (chaussures, vêtements, bijoux et produits de beauté). Un de mes sugar daddies qui travaille dans les affaires a des contacts avec des boutiques de luxe dans le Sud et il lui est arrivé de passer des appels pour que je passe prendre ce que je souhaite. » Une scène qui n’est pas sans rappeler le film Pretty Woman. Mais qui sont les « daddies » qui peuvent se permettre de dépenser autant pour être bien accompagnés ?
La plupart sont des hommes âgés, avec de bonnes situations, mariés ou divorcés. Offrir un bon train de vie à une jeune fille leur confère un ascendant sur elles, un rempart contre une certaine solitude ou l’impression de redorer leur blason en s’affichant aux bras d’une belle « petite amie ». Leila a fréquenté : « un chirurgien, un agent immobilier, un banquier… Ils ne cherchent pas seulement du sexe, mais aussi une interaction humaine, ce dont ils manquent. Ils ont beaucoup travaillé toute leur vie et veulent profiter d’un moment de plaisir et d’écoute. J’avais des conversations très intimes avec eux. J’étais parfois plutôt leur psy que leur baby. » Carmen a eu affaire à des profils similaires, rencontrés sur des sites spécialisés. « Ils ont la cinquantaine voire la soixantaine, sauf un qui a la quarantaine, ce que je trouve “jeune” dans ce milieu. Bien sûr, il y a des hommes plus vieux mais c’est ma limite. Pour les professions, il y a de tout : un homme d’affaires, un autre dans le droit/la politique, un autre médecin. » La jeune fille note : « L’un d’eux m’a confié avoir besoin de “fraîcheur” et de “discrétion”. J’ai compris qu’ils parlaient en fait de jeunesse. La vulnérabilité, c’est important. C’est le cas lorsqu’on est étudiante. Ils aiment la domination même si ils ne le diront pas dès le départ. »
Et ce désir de domination est loin d’être un détail. Car si de nombreuses jeunes filles exhibent un lifestyle qui peut en faire rêver certaines, la réalité est bien moins rose. En plus du sentiment de honte qui s’empare de certaines filles qui cachent leur façon de gagner de l’argent à leur famille et à leurs amis, d’autres font face à des hommes violents, capables de harcèlement, d’humiliations et d’agressions. Elles ont alors l’impression d’être devenues la chose de leur « daddies » et de se mettre en danger physiquement, puisqu’ils risquent de s’en prendre à elles. Pour Carmen, « certains désirs des hommes sont normaux, d’autres ne le sont pas. » Leïla a arrêté les sugar daddies. « J’avais un petit copain, confie-t-elle. En plus, j’ai senti que quelques hommes voulaient plus de moi, comme vivre avec moi. Quand on m’a proposé de rester toujours à la disponibilité d’un homme, j’ai dit non. Je voulais rester mon propre patron. Mais, en les écoutant, j’ai beaucoup appris sur le mariage, la richesse, le désir. J’ai réalisé que l’envie d’être avec quelqu’un devait être naturelle, liée aux émotions et non pas feinte ni construite. »