Alors que le fils est accueilli comme l’héritier de la famille, la fille est un soulagement pour la mère qui se voit seconder dans ses tâches. Des automatismes culturels qui ont encore la dent dure. Alors comment éduque-t-on nos enfants au sein de la communauté ?Notre enquête sans tabou !
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Quand j’étais petite, je ne supportais pas devoir toujours être de corvée alors que mes frères avaient le droit de jouer. Une grande frustration a grandi en moi et je me suis juré que jamais je n’éduquerai mes enfants en faisant de différences. J’en veux beaucoup à ma mère, qui, quand je m’énervais, me disait : “Je ne vais quand même pas demander à ton frère de faire la vaisselle ?!” C’est avec une colère encore palpable que Nabilla confie ses souvenirs d’enfance, qu’elle qualifie d’« injustes », d’« écœurants », de « révoltants ». Aujourd’hui, à 30 ans, elle est la maman d’Eden, 3 ans et de Leila, 10 mois. Pour l’instant, il est trop tôt pour faire passer l’aspirateur à l’un ou à l’autre, mais elle assure ne vouloir faire aucune distinction. Pour la pédopsychiatre Fatna Bouchiche, les stigmates d’une éducation stricte et genrée peuvent provoquer de « véritables traumatismes qui ont des conséquences désastreuses similaires à la maltraitance. Soit la personne est dans le rejet total de son éducation, et se positionne en parfaite opposition, soit elle va perpétuer les préceptes, qui à leur tour seront transmis de génération en génération, reproduisant les mêmes écueils. »
À L’ÉCOLE OU À LA MAISON, MÊME COMBAT ?
On parle beaucoup d’éducation genrée en France, surtout depuis qu’elle s’est invitée dans les écoles, voire les programmes scolaires en 2013. On se souvient comme la communauté était montée au créneau suite aux vidéos de la militante Farida Belghoul qui dénonçait la sexualisation de l’enseignement dans les écoles. D’aucuns militaient pour le retour de la non-mixité à l’école, d’autres ne juraient que par l’école à domicile, certains plébiscitaient des valeurs plus progressistes parlant d’homosexualité et de l’abolition des tabous sexuels… En ligne de mire se trouvait la religion, ou plutôt la culture offerte en héritage, comme le rappelle Fatna Bouchiche : « C’est un vrai tabou de remettre en question ses valeurs familiales et donc culturelles, d’autant plus lorsque cela concerne les questions liées à la transmission. »
Pour Dalila, une patiente de Fatna Bouchiche, il aura fallu une thérapie de huit ans pour se rendre compte à quel point sa vision du monde était « genrée ». Elle confesse : « Je ne pense pas que j’étais dans le mal, mais je ne me rendais pas compte à quel point je n’éduquais pas de la même façon mes jumelles et mon fils aîné. Le jour où l’une de mes filles, qui est brillante à l’école, m’a dit qu’elle ferait des études uniquement si son fiancé était d’accord, j’ai failli tomber de ma chaise ! J’ai compris qu’il y avait quelque chose que j’avais raté ! Je donnais sûrement le mauvais exemple en ne m’opposant que rarement à mon mari ». Pour Nabilla, l’éducation se joue dès le plus jeune âge : tous les jouets sont à disposition des deux, et il est hors de question d’interdire à son fils de jouer à la Barbie. Fatna Bouchiche analyse les deux comportements : « Il n’y a pas de bonne conduite, il n’y a que celle où l’on se sent le plus aligné avec ses propres valeurs. Il faut retenir une chose : l’enfant est dans un mimétisme constant de ce qui se passe à la maison. Vous êtes leur modèle par l’acte plutôt que par de grands discours. »
DES RÉPERCUSSIONS SUR L’AVENIR
L’éducation genrée, à savoir faire une distinction entre les deux sexes, peut avoir de profondes répercussions dans la vie des enfants. C’est ce que rappelle Athina Marmorat, la fondatrice de Rêv’Elles, l’association d’aide à l’orientation de jeunes filles, lors de l’une de ses sessions : « Les jeunes filles sont souvent enclines à choisir des métiers d’aide ou de paramédical, comme infirmière ou puéricultrice, ce qui les rend moins représentées dans les postes
décisionnaires. Elles ont pour certaines été éduquées dans le schéma qu’une femme aide, soigne, sert… Et pourtant elles ont de meilleurs résultats scolaires que les garçons ! Mais elles manquent encore cruellement de confiance en elles, et c’est ce que nous leur apportons avec nos stages. » Ainsi, pour encourager une future jeune fille dans la conquête de sa vie et de la réussite, il faut donc bien viser les croyances limitantes. Fatna Bouchiche poursuit : « Les cultures maghrébines reposent énormément sur un schéma patriarcal où la jeune fille qui s’en éloigne serait une rebelle. Pour autant, les rebelles sont de plus en plus acceptées et ce, grâce à des rôles modèles, homme comme femme, qui font la différence. Souvent, ce sont les sportifs/ives qui font figures de proue, à l’instar de Sarah Ourahmoune (championne de boxe), de Kamel Ouali (chorégraphe), ou encore de Habiba Ghribi (championne d’athlétisme). » De telles réussites ne doivent plus être des exceptions, mais bien encourager la nouvelle génération à croire en leurs rêves et ambitions, peu importe leur genre !
L’étude qui résume tout !
Comme le révèle une étude Ipsos publiée en novembre 2019, « Partage des tâches ménagères et transmission : regards croisés Enfants-Parents », 60 % des enfants âgés de 8 à 16 ans dressent le constat que c’est leur mère qui, à la maison, fait globalement le plus de choses et gère les tâches ménagères. Celles liées au linge sont majoritairement associées à la mère (85 %), tout comme le nettoyage de la salle de bain (78 %) ou des sols (72 %). Ces enfants estiment qu’ils reproduiront eux-mêmes ce schéma familial dans leur propre foyer. Si les filles semblent plus nuancées, près d’un garçon sur deux déclare que, plus tard, dans son couple, c’est sa conjointe qui s’occupera de la lessive.