Mandoob ( coursier en arabe) est un film saoudien tourné à Riyad en Arabie Saoudite et sorti le 14 décembre dernier. Le personnage principal Mohammed Aldokhei joue le rôle de Fahad, qui devient mandoob contre son gré. Il travaillait dans un call center avant de perdre son emploi et de devoir poursuivre, la nuit dans son nouveau poste, dans le but de sauver son père malade.
L’accent est mis sur l’interdit en Arabie Saoudite et le film montre une autre image loin de la prospérité et du luxe gravés dans les inconscients collectifs. Les plans de tournage décrivent à la perfection la vie mouvementée et nocturne de Ryiad.
Mandoob a rencontré un grand succès auprès des saoudiens. Il a été présenté en première mondiale au Festival international du film de Toronto en septembre 2023 puis au Red Sea International Film Festival (RSIFF) à Djeddah au début du mois de décembre.
Afin de mettre en lumière les talents, l’association Génération 2030 qui valorise le cinéma saoudien en France et a pour ambition le rapprochement avec les talents et l’écosystème culturel hexagonal a accompagné Mandoob pour deux projections devant le public français en 2024 :
- La première a eu lieu le 15 avril dernier au MUCEM, à Marseille, dans le cadre des Rencontres internationales des cinémas du festival Aflam. Un événement qui propose chaque année de mettre en lumière les cinématographies arabes d’hier et d’aujourd’hui. La projection a réuni 230 personnes.
- La seconde a eu lieu le 13 mai à l’Institut du monde arabe (IMA) dans le cadre de la quatrième édition de la Nuit du cinéma saoudien. Cette soirée est ouverte à la réservation via le site de l’IMA dans la section « billetterie », rubrique « cinéma » (lien).
Entretien avec Ali Kalthami, réalisateur du film Mandoob
Dans votre film, pourquoi avez-vous décidé de montrer une image différente de la capitale Riyad, la nuit ?
Dans « Mandoob », je voulais représenter Riyad d’une manière que beaucoup de gens ne voient pas habituellement. En montrant la ville la nuit, j’ai pu mettre en valeur son caractère et son atmosphère uniques. Le décor nocturne, avec ses couleurs et ses ombres vibrantes, intensifie le drame et reflète les luttes internes du personnage principal, Fahad. Cette approche aide le public à ressentir sa solitude et la complexité de son voyage à travers les couches cachées de la ville.
Le personnage n’a pas de chance et subit plusieurs tragédies tout au long du film. Pourquoi avoir choisi d’en faire un thriller ?
Faire de « Madoob » un thriller m’a permis d’approfondir l’état psychologique de Fahad et les émotions intenses qu’il éprouve. Le genre crée un récit captivant qui tient les spectateurs en haleine, tout en offrant une plateforme puissante pour explorer des thèmes sérieux tels que le désespoir, les dilemmes moraux et l’impact des pressions sociétales. Les malheurs de Fahad et les éléments de suspense du film rendent son histoire plus convaincante et plus accessible.
Comment expliquez-vous le succès du film, notamment en Arabie Saoudite ?
« Mandoob » trouve un écho auprès du public car il reflète les luttes réelles auxquelles de nombreuses personnes sont confrontées en Arabie Saoudite. Les thèmes du chômage, des responsabilités familiales et de la recherche d’identité personnelle sont universels, mais profondément personnels à notre culture. De plus, la représentation authentique de Riyad dans le film et les solides performances des acteurs ont touché une corde sensible chez les téléspectateurs, leur donnant le sentiment d’être vus et compris.
Quelles sont les difficultés sociales et professionnelles rencontrées en Arabie Saoudite ?
En Arabie Saoudite, les individus sont souvent confrontés à des défis tels que la précarité de l’emploi, les attentes de la société et la pression visant à équilibrer les valeurs traditionnelles avec les aspirations modernes. Sur le plan professionnel, les opportunités peuvent être limitées dans certains domaines, ce qui conduit de nombreuses personnes à jongler avec plusieurs emplois pour joindre les deux bouts. Sur le plan social, l’accent est fortement mis sur les responsabilités familiales, qui peuvent être à la fois un système de soutien et une source de pression.
Mandoob est le premier film que vous avez réalisé. Quelles difficultés ou à l’inverse quels avantages avez-vous rencontrés lors du casting, de la réalisation et du tournage ?
Réaliser mon premier film a été une expérience d’apprentissage remplie à la fois de défis et de récompenses. Le casting était crucial ; Je voulais des acteurs capables de représenter de manière authentique la profondeur des personnages. Travailler avec Mohammed Al-Dokhei, qui jouait Fahad, a été une bénédiction en raison de son dévouement et de son talent. Cela m’a aussi énormément aidé de prendre mon temps pour collaborer avec Mohamed Al-Garawi, le co-scénariste, pour développer l’histoire en profondeur. Cette solide préparation de pré-production nous a permis de tourner dans des lieux réels à Riyad, ajoutant ainsi de l’authenticité au film. Nous avons construit une unité et filmé plus de 60 heures d’images des rues de Riyad pour trouver les meilleures routes, rues et ruelles qui représentaient les différents thèmes et émotions de l’histoire, améliorant ainsi le style de narration visuelle.
Le tournage dans des lieux réels a posé des défis logistiques, mais cette préparation méticuleuse a rendu le tout gérable. Attendre de perfectionner l’histoire et la préparation a suscité des attentes, mais j’avais confiance dans la capacité de mon équipe à créer quelque chose qui plairait et apprécierait les gens. Le plus grand avantage a été le soutien incroyable de mon équipe, qui a permis de surmonter les obstacles.
Est-il courant d’occuper deux emplois en Arabie Saoudite ?
Oui, il est assez courant en Arabie Saoudite d’occuper plusieurs emplois. Les pressions économiques et le désir de stabilité financière poussent de nombreuses personnes à assumer des tâches supplémentaires. Cette réalité est décrite dans « Mandoob », où Fahad travaille comme chauffeur-livreur tout en faisant face à des crises personnelles et professionnelles.
Quels sont les sujets les plus fréquemment abordés dans les films saoudiens ?
Les films saoudiens explorent souvent des thèmes tels que le changement social, la dynamique familiale et l’identité culturelle. De nombreux cinéastes se concentrent sur la tension entre tradition et modernité, mettant en avant les transformations personnelles et sociétales. Les histoires sur la résilience, l’ambition et la quête de découverte de soi sont également répandues, reflétant l’évolution rapide du paysage de la société saoudienne.
Avez-vous d’autres projets de films et quels thèmes comptez-vous aborder ?
Oui, j’ai plusieurs projets en développement. Je recommence à écrire et à explorer plusieurs histoires. « Mandoob » était comme mon deuxième bébé, et maintenant j’attends mon troisième. Ce temps me permet également de passer plus de temps avec mon fils Aziz, qui m’inspire de nouveaux angles et idées. Qui sait, il pourrait même être mon co-scénariste du prochain film ! Mes projets à venir continueront d’approfondir des personnages complexes et leurs interactions avec le paysage saoudien en évolution, dans le but de créer des histoires qui trouvent un écho auprès du public saoudien et, espérons-le, auquel le public international puisse également s’identifier.
Entretien de Soha AlHarbi, présidente de l’association franco-saoudienne Generation 2030
Comment pouvez-vous décrire le cinéma saoudien ? Est-il en pleine
croissance ?
Le cinéma saoudien est en pleine expansion depuis 2018. La volonté de développer le
secteur du cinéma en Arabie saoudite s’inscrit dans une vision stratégique globale, le
Plan Vision 2030, dont l’objectif est de diversifier l’économie du pays et de développer
une industrie de divertissement solide et pérenne pour les 35 millions d’habitants.
Aujourd’hui, le pays compte près de 600 écrans de cinéma répartis dans une
vingtaine de villes et l’objectif est d’atteindre le chiffre de 2600 d’ici 2030.
Le développement du secteur du cinéma saoudien doit également son succès rapide
à la mise en œuvre de plusieurs mesures stratégiques visant à accompagner les
jeunes talents du cinéma, telles que la création d’instituts culturels et cinématographiques en Arabie saoudite et l’octroi de bourses pour des formations
d’excellence à l’étranger.
L’association Generation 2030 contribue à faire connaitre ce cinéma auprès d’une
audience internationale, notamment grâce à une Tournée du cinéma saoudien
organisée chaque année en France dans plusieurs villes et festivals. Le public est de
plus en plus nombreux. Le 13 mai dernier, la 4 e édition de la soirée du cinéma
saoudien à l’Institut du monde arabe a réuni plus de 350 personnes autour du film
Mandoob.
Que faudrait -il davantage développer pour qu’il progresse davantage ?
Pour que le cinéma saoudien progresse davantage, il est essentiel d’investir dans la
formation et l’éducation des futurs professionnels du secteur.
Generation 2030 s’insère dans cette dynamique et participe à l’essor de ce jeune
cinéma saoudien. L’association facilite les échanges et la mise en œuvre des
programmes de coopération avec des écoles françaises dans le secteur de
l’audiovisuel en lien étroit avec les représentants de l’industrie cinématographique
saoudienne (MBC Academy). A ce jour, plus de 60 jeunes talents ont bénéficié de ces
programmes dans le domaine audiovisuel (Les Gobelins, ESRA).
Aujourd’hui le défi n’est pas tant la capacité de réaliser des productions à succès en
Arabie saoudite mais de consolider et pérenniser cette industrie en pleine expansion,
en offrant la possibilité à la jeune génération d’accéder à un large éventail de
métiers techniques. L’enjeu est de faire du cinéma de qualité ; cela demande du
temps, et nous sommes là pour accompagner cette transition.
Comment sont perçus les films saoudiens dans le monde ?
Les films saoudiens acquièrent progressivement une reconnaissance internationale.
Depuis la participation officielle du pays au festival de Cannes en 2018 par le biais de
son pavillon, l’Arabie saoudite a vu plusieurs de ses films sélectionnés par des
festivals de premiers plans tels que Venise, Berlin, Toronto. Le film « Mandoob » a
notamment été présenté au Toronto International Film Festival en 2023.
Cette année, pour la première fois, un film saoudien a été nominé dans la sélection
officielle « Un certain regard » du Festival de Cannes. Il s’agit de « Norah », un drame
du réalisateur Tawfik AlZaidi, dont la première a eu lieu en décembre au Red Sea
International Film Festival. C’est un symbole fort pour les ambitions
cinématographiques du pays et une immense fierté.