Les musulmans fumeurs appréhendent l’arrivée du Ramadan. Ils redoutent ces longues heures passées à souffrir du manque et des envies « d’en griller une ». Certains ont saisi ce moment comme tremplin pour se sevrer du tabac et arrêter définitivement. Quelques fois la route est longue, pour d’autres, au contraire, elle est brève et radicale.
Bien qu’il puisse apprécier l’idée de jeûner, pour un fumeur le Ramadan est souvent synonyme de souffrance. En effet, même s’il redouble d’efforts pour résister à la tentation d’allumer une cigarette, la sensation de manque de nicotine et celle de la dépendance physique peut s’avérer extrêmement difficile à gérer. Certains profitent de ce moment propice à la diminution voire, à l’arrêt complet de tous les vices et excès. Même si aujourd’hui diverses techniques comme l’acupuncture, le laser, l’hypnose facilitent l’arrêt du tabac de manière instantanée, le premier fondement et celui qui permettra de ne jamais renouer avec le monde du tabac est et restera pour toujours : la volonté.
Un arrêt brutal du tabac
Hasna 38 ans a mis fin à son addiction il y’a cinq ans. Fière et satisfaite, elle ne veut plus entendre parler de ce « mauvais souvenir », à présent. « J’ai fumé pendant 22 ans. Je n’ai quasiment pas connu de Ramadan sans cigarette. J’ai commencé à le faire entièrement presque en même temps que j’ai connu mes premières cigarettes. Je suis vite devenue dépendante et cette béquille m’aidait à traverser le stress et les situations difficiles. Je n’aurai jamais imaginé pouvoir m’arrêter du jour au lendemain. Je me suis mariée, il y’a sept ans et même si mon époux tôlerait que je fume, je voulais m’arrêter car nous allions fonder une famille et cette addiction était incompatible avec cette idée. Je craignais plus que tout de tomber gravement malade et de ne pas pouvoir voir mes enfants grandir. Je redoutais d’en faire des orphelins trop tôt. Je me suis servi du Ramadan comme d’un tremplin pour enfin me délester de ce terrible vice. Ce sentiment me hantait constamment. Je souhaitais arrêter mais n’avais pas idée de la manière. J’ai prié pendant de longues semaines qu’Allah m’aide dans cette démarche. J’appréhendais, j’angoissais tellement que je ne trouvais plus le sommeil. Je craignais de ne jamais vraiment pouvoir quitter cette drogue. Le premier jour de Ramadan fut très rude et comme d’habitude l’appel de la première cigarette fut très intense. La journée était très longue. Le soir, même si j’avais envie de fumer, j’ai pu résister grâce à la fatigue. A l’heure du s’hour, l’envie était présente, mais je voulais vraiment tenir. Les jours défilèrent ainsi jusqu’au dernier. Il y’avait des moments plus difficiles que d’autres. Certaines fois, la dépendance physique était trop pesante. J’avais comme besoin de ressentir la fumée rentrer dans l’œsophage. Le soir venue, je me ruais sur un verre de thé à la menthe ou d’absinthe. Je pouvais en boire deux ou trois d’affilée. La journée, je faisais face au manque en pensant fort à la raison et aux bénéfices que j’allais tirer de cet arrêt. Ce fut un dur combat avec mon « nafs » et j’ai gagné. Le jour de l’Aïd j’avais peur de retomber dedans, notamment parce que j’allais revoir mon entourage fumeur. Finalement, je n’ai pas succombé. Je me demandais même comment j’avais pu inhaler toutes ces substances nocives. La fumée m’écœurait, ce qui m’a fortement empêché de replonger. Je suis fière de moi et remercie Dieu qui m’a permis de mettre un terme à la cigarette », confie la jeune femme.
S’arrêter étape par étape
Si certains préfèrent la manière radicale, d’autres ont choisi de franchir cette épreuve par échelon. Nora 41 ans a considérablement limité sa consommation de tabac pendant le Ramadan l’an dernier pour en finir définitivement quelques semaines après. « J’ai déjà essayé d’arrêter d’un seul coup, mais j’étais à bout de nerf. Mon corps et mon esprit n’ont pas résisté à tant de difficulté. J’ai finalement repris de plus belle. L’an dernier, j’ai décidé de retenter l’expérience, mais cette fois, étape par étape. J’ai voulu déshabituer mon corps à la nicotine en jeûnant. C’était plutôt facile en journée, mais j’avais hâte d’arriver à la rupture, pour apprécier la première cigarette, celle qui fait tourner la tête. J’étais très heureuse de constater que je ne pouvais fumer que quatre cigarettes entre le premier repas et le s’hour. C’était un exploit pour moi qui fumais près d’un paquet par jour. J’ai privilégié la salat en allant chaque soir à la mosquée. En rentrant je n’avais pas spécialement envie de fumer. Petit-à- petit je fumais de temps en temps, puis à la fin du Ramadan j’ai totalement délaissé ce vice. Je me suis mise au tricot pour m’occuper les mains et l’esprit ! Certains vont rire mais cela m’a beaucoup aidé et j’ai réalisé plein de vêtements pour mes enfants », confie la jeune femme.
S’arrêter de manière improvisée
Salma, 27 ans a arrêté de fumer il y’a deux ans, après avoir passé le mois sacré au Maroc. « Je suis originaire de Chefchaouen, une ville montagneuse située dans le Rif. Je savais que j’aurai des difficultés à fumer là-bas, mais mes grands-parents me manquaient tellement que c’était devenu secondaire pour moi. Pendant un mois, je n’ai pas pu fumer. A vrai dire il n’y avait pas vraiment d’endroits à l’abri des regards, ma famille et les voisins m’auraient sûrement vu. D’ailleurs, dans le quartier, tout le monde me connaît et je n’aurai pas pu acheter de cigarettes. L’envie était forte, mais c’était trop risqué et puis, je ne voulais pas les décevoir. Ils n’auraient pas compris pourquoi je fume et auraient certainement pensé que j’étais une mauvaise fille. Ils sont assez conservateurs même s’ils sont bienveillants envers leurs petits-enfants. J’avais l’habitude de fumer avec mes cousins lors de mes voyages d’été. Comme j’étais entourée de fumeurs, personne ne se doutait que j’en faisais partie. Cette fois, ils n’étaient pas venus. Je me suis donc retrouvée sans mes acolytes. J’ai arrêté sans vraiment l’avoir souhaité au départ, puis finalement, je me suis dit : allez pourquoi, ne pas poursuivre sur le même cheminement ! A la fin du Ramadan, je me suis promis ne plus jamais porter de cigarettes à ma bouche. Je ne voulais pas voir tous mes efforts réduits à néant. J’ai réussi et je ne le regrette pas. Je me sens libre, libre de cette béquille que j’ai tenue durant douze années de mon existence », explique la jeune femme.
L’arrêt de la cigarette est un passage difficile pour tous. D’ailleurs, le manque de nicotine est si appréhendé que beaucoup préfèrent reculer l’échéance de l’arrêt pour éviter de souffrir. Pourtant, santé, porte-monnaie, enfants, toutes les raisons sont bonnes pour délaisser le tabac.