Un jour, la maman a quitté le nid et le papa s’est retrouvé avec la double casquette. Nos gazelles racontent cette enfance particulière.
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Environ 200 000 enfants sont concernés chaque année par le divorce de leurs parents. Selon le ministère de la Justice, 73 % d’entre eux continuent à vivre chez leur mère, 17 % vivent en garde alternée et quelque 10 % sont confiés au papa, qui se retrouve parfois complètement seul aux manettes. Une grosse responsabilité pour ces derniers, mais qui les amène aussi à tisser une relation confiante et complice avec leur(s) cher(s) bambin(s).
Frites, pâtes et… pomme au menu
Nabila, 33 ans, n’avait que cinq ans lorsque sa mère est partie.
« Ma maman s’en est allée le lendemain de mon anniversaire. À cause de ce détail, son départ m’a encore plus bouleversée. Je croyais en être la cause. Je pensais ne pas avoir été assez sage pour qu’elle reste avec moi. Mon père a veillé sur mes deux frères de 7 et 10 ans et moi. Attentionné et plein d’affection, c’était un vrai papa poule, el hamdoullilah. Je ris encore des moments où il me coiffait. Ce n’était jamais comme je voulais, il avait tendance à me peigner comme il le faisait pour lui, avec une raie sur le côté… Il était difficile aussi pour lui de combiner le travail et les corvées de la maison. Il nous préparait souvent des frites, des pâtes ou de la pizza au dîner. Il veillait tout de même à ce que nous mangions des fruits et légumes. Il nous coupait toujours une pomme le soir. Il nous disait que ça nous calmerait et nous aiderait à dormir. » Au fil des années, le papa n’a pas cherché à refaire sa vie avec une autre femme. « Lorsque quelqu’un le lui suggérait, il répondait qu’il ne voulait pas traumatiser une seconde fois ses enfants, qu’il s’en sortait très bien comme ça. Avec les années, nous avons compris que le départ de ma mère l’avait profondément marqué et qu’il ne souhaitait pas se risquer à vivre une autre déception. » La présence de leur maman manque beaucoup aux enfants. « En partant à l’école, j’avais toujours l’espoir de la retrouver à mon retour. Je pleurais souvent, car j’étais triste et en colère contre elle. Lorsque nous la voyions, nous lui reprochions de nous avoir laissés, mes frères et moi. Elle nous répondait très calmement que, lorsque nous serions grands, nous comprendrions les raisons de son départ. En grandissant, et avec beaucoup de recul, nous avons compris que son état psychologique avait provoqué cette situation, que notre maman avait besoin de beaucoup de “tranquillité”. Aujourd’hui, nous lui avons pardonné et avons un bon contact avec elle », confie la jeune femme. « C’est en effet très difficile pour un enfant de ne plus avoir sa maman à la maison, explique le psychiatre Patrice Huerre. Mais pour autant, il ne faut pas qu’il la juge. Comme Nabila, il comprendra sans doute ses motivations plus tard. Et en attendant, il a la chance d’avoir un papa pour s’occuper de lui. L’enfant doit l’aider et ne pas être trop exigeant, mais il doit aussi penser à lui, sortir, se faire des amis, ne pas rester dans un duo parent-enfant(s) ».
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On ne traîne pas et… On passe son bac !
Dans certaines familles, la mère coupe complètement les liens. C’est ce qui s’est passé avec la maman de Rania qui, au moment du divorce, n’a pas demandé la garde de ses sept enfants, souhaitant refaire sa vie. « Elle n’a plus jamais cherché à nous revoir. J’étais la plus jeune de la fratrie, je n’avais que 6 ans », se souvient Rania, aujourd’hui âgée de 38 ans. Mais la famille s’organise. « Tout le monde, et surtout mon père, veillait sur moi. Je me sentais vraiment comme une petite princesse. Quand mon papa n’était pas là, il me confiait à ma sœur. Elle était déjà adulte, elle avait 20 ans, et elle s’occupait de moi comme une petite maman. » Le papa est également très attentif au bon fonctionnement de la maisonnée. « Il était tendre mais faisait aussi preuve de fermeté lorsqu’on lui désobéissait. Je me souviens qu’il appelait plusieurs fois par jour à la maison pour voir si nous étions tous bien présents et qu’il ne nous manquait rien. Il ne voulait surtout pas que nous “traînions” dehors et que nous ayons de mauvaises fréquentations. Il s’est assuré que nous poursuivions tous nos études ; il nous inscrivait à des cours de soutien et, grâce à son suivi sans relâche, nous avons tous obtenu le bac et fait ce que nous voulions. Il nous disait que si nous réussissions, il serait l’homme le plus heureux du monde. Je voyais bien qu’il était triste parfois, mais il se ressaisissait vite et faisait en sorte de nous faire rire. Quand il avait le temps, il organisait des sorties au musée, au bois, au cirque… Tous les ans, nous partions en vacances chez nos grands-parents à Alger. Quant à ma mère, nous ne l’avons plus revue. Nous avions quelques nouvelles par les uns et les autres, mais jamais elle n’a pris le téléphone pour échanger avec nous. Nous savions seulement qu’elle s’était remariée. Malgré le temps qui passe, je n’ai toujours pas fait le deuil de son départ »,
explique la jeune femme.
3 conseils aux pères solos
NE PAS RAYER DE LA CARTE LA MAMAN
Même si elle a abandonné le nid familial, il ne faut pas faire comme si elle n’avait jamais existé. Il faut laisser dans la maison des objets et des photos d’elle. Les enfants doivent pouvoir parler d’elle, de leurs sentiments, évoquer des souvenirs. Ils ont besoin de se construire avec l’image de deux parents, sinon ce sera compliqué pour eux de s’engager plus tard dans une vie de couple. Le garçon aura l’idée qu’une femme peut disparaître du jour au lendemain et la fille n’aura aucun modèle féminin auquel se référer.
NE PAS OUBLIER L’HOMME DERRIÈRE LE PÈRE
Beaucoup d’hommes se sacrifient pour leurs enfants quand ils deviennent pères solos, comme s’ils pouvaient remplacer la maman. or, ils ne le peuvent pas. Non seulement cela ne sert à rien de s’investir à 200 % mais, en plus, cela fait peser sur les épaules des enfants la responsabilité du bien-être du père, ce qui est injuste. C’est au papa de prendre en charge son bien-être en gardant du temps pour lui, en faisant du sport, en voyant des amis, en allant au cinéma et plus tard, pourquoi pas, en refaisant sa vie…
APPUYEZ-VOUS SUR VOTRE ENTOURAGE
pour se construire, les enfants ont besoin de modèles adultes diversifiés. si la maman a déserté le nid, ne vous enfermez pas dans une bulle, ne vivez pas en vase clos. voyez la famille, les amis. organisez des week-ends, des vacances à plusieurs, des piqueniques.
Trois conseils aux pères solos
Patrice Huerre, psychiatre et psychanalyste à Paris, auteur avec Christilla Pellé-Douël de Pères solos, pères singuliers, Albin Michel, 2010, 13 €.