La perte d’un enfant va à l’encontre du sens de la vie. C’est une épreuve terrible et un bouleversement violent pour les parents qui se retrouvent comme amputés d’un de leur membre. Difficile alors de faire son deuil et de continuer à avancer à cause de la douleur profonde. Témoignages.
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S’il est dans l’ordre des choses de perdre un parent, un grand-parent ou même un oncle, la perte d’un enfant, elle, est souvent brutale et inattendue. Elle va dans le sens inverse de la vie et constitue une horrible injustice. Ce qu’Horia con »rme, « la mort d’un enfant est incomparable à toutes les autres. Pour un proche âgé, on arrive à se dire que c’est dans l’ordre des choses mais quand c’est son enfant qu’on enterre, rien ne soulage, même les années qui passent ». Pour cette mère de famille, l’annonce du décès de son fils a été très difficile à accepter, au point qu’elle a eu du mal à y croire avant de devoir se rendre à l’évidence. « C’était un samedi. Mon mari m’a appelée à mon travail pour m’annoncer que notre fils de seize ans venait de mourir de manière brutale. Sur le coup, je n’y ai pas cru. Je me rassurais en me disant que ce n’était pas possible, que je n’avais pas bien compris, que je faisais un cauchemar. Mais une fois arrivée chez moi, j’ai été frappée de plein fouet par la réalité. Il y avait beaucoup de monde : les pompiers, le SAMU, la police, les voisins… Je me suis retrouvée là, au milieu de tous ces gens, dont certains venaient me présenter leurs condoléances, mais j’étais perdue et ne savais pas comment réagir. » En plus d’être vécue comme une injustice, la perte d’un enfant s’accompagne souvent d’un sentiment de culpabilité. Les parents ont l’impression de ne pas avoir été à la hauteur de leur rôle et de ne pas avoir pu protéger leur enfant. C’est le cas de Saïda dont le fils est mort, renversé par une voiture, et qui ne peut s’empêcher de penser qu’elle aurait pu éviter ce drame. « Il m’attendait sur le palier le temps que je prenne mon sac et que je verrouille la porte. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais, en une fraction de seconde, il a descendu les escaliers et s’est retrouvé à l’extérieur de l’immeuble. Tout est flou après, j’ai entendu du bruit et des gens qui criaient, j’ai vu mon fils allongé au milieu de la route et j’étais là, à regarder la rue sans vraiment comprendre. C’est horrible, je me repasse la scène en boucle en me disant que je n’aurais pas dû le laisser seul. Je m’imagine ce que j’aurais dû faire ou ce que j’aurais pu faire si j’avais été là. J’ai l’impression d’être la pire mère du monde. J’ai perdu mon fils de trois ans à cause de quelques secondes d’inattention. »
UN DEUIL IMPOSSIBLE À FAIRE
Perdre un enfant, c’est aussi traverser une épreuve qui s’apparente bien souvent à une injustice pour les parents qui la subissent. Instinctivement, ils développent un sentiment de colère qui peut être dirigé vers les autres parents qui, eux, ont toujours leurs enfants près d’eux. Il arrive aussi que les parents endeuillés comparent la vie des autres à ce qu’aurait pu être la leur ou celle de leur enfant. C’est le cas d’Horia qui souffre de voir les amis de son fils évoluer et avancer dans la vie. « Ça me fend le cœur de voir ses copains grandir, passer leur permis ou leur baccalauréat alors que son destin à lui est tout autre. » Et, comme de nombreux parents qui ont perdu leur enfant, Horia a l’impression qu’elle ne pourra jamais faire son deuil et aller de l’avant. « Notre vie a été chamboulée en l’espace d’une heure. Maintenant, le quotidien me rappelle constamment son absence. Je retrouve un peu de mon $ls dans chaque jeune que je vois. Désormais, je me console avec les souvenirs, quelques uns de ses vêtements que j’ai gardés et son parfum. Ces petites choses anodines ont pris beaucoup d’importance après sa mort. » Après le décès de son enfant, il faut des années avant de pouvoir faire son deuil. Et il n’est pas question d’oublier cette tragédie – c’est d’ailleurs impossible – mais juste de l’accepter et d’avancer malgré elle. C’est un cap qui met parfois très longtemps avant d’être atteint. « Aujourd’hui, presque quatre ans après, je peine toujours à avancer, je suis détruite. Sans lui, ma vie ne sera plus jamais pareille. J’ai l’impression qu’on m’arrache tous les jours mes entrailles et je vis au rythme de cette douleur. C’est une douleur qui me ronge et me détruit. Rien ne me soulage et même les années qui passent n’e%acent pas la douleur. Aujourd’hui, ma foi est plus grande et je survis en m’accrochant à Allah », poursuit Horia. La présence de l’entourage est primordiale dans le processus de deuil et les proches ont un rôle important à jouer. « Il m’a fallu de longues années avant de pouvoir sourire sans culpabiliser. Heureusement que mes sœurs étaient là pour moi. Elles ont séché mes larmes, m’ont épaulée, consolée et remonté le moral chaque fois que je me sentais coupable. J’ai traversé des périodes où je me sentais tellement responsable que je ne pouvais même plus me regarder dans un miroir et dans ces moments-là, elles étaient là. J’ai quelques amies et des voisines qui ont aussi été des piliers pour moi. Je n’aurais pas pu m’en remettre sans mon entourage, je pense même que je serais devenue folle. Avec le temps, je me suis fait une raison et je m’en suis remise à Dieu. Finalement, c’est Lui qui a pris la décision de me prendre mon $ls et ça m’a apaisée de me tourner vers la religion. Depuis, j’ai eu d’autres enfants et j’ai repris une vie à peu près normale mais il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à mon $ls décédé. Je sais que je ne ferai jamais complètement mon deuil mais j’essaie de vivre avec. » ajoute Horia.
LA FAUSSE COUCHE, UNE PERTE COMME LES AUTRES ?
Et si la perte d’un enfant semble insurmontable, celle d’un bébé à venir est parfois tout aussi douloureuse. Environ 20 % des grossesses se soldent par une fausse couche. Pour autant, même si de nombreuses femmes traversent cette épreuve, c’est un évènement tragique qui ne doit pas être minimisé. « Fais-en vite un autre, tu oublieras », « Tu es jeune, tu as le temps » ou « Ce sont des choses qui arrivent » sont autant de phrases qui empêchent la discussion d’avoir lieu et privent les femmes d’une conversation qui leur aurait permis de se libérer de leurs émotions et de leur grande tristesse. D’autant que la peine engendrée par une fausse couche peut être beaucoup plus importante qu’on ne le croit. Fatima Zohra a appris la mort de son bébé à venir lors d’une échographie et c’est une épreuve qui l’a marquée. « J’ai ressenti un vide et je n’y ai pas cru. J’entends encore ses battements de cœur, j’ai gardé toutes les échographies et je ne peux m’empêcher de me demander si c’était une $lle ou un garçon et à qui il aurait ressemblé. C’est une épreuve très di’cile qui change une personne. » Même son de cloche pour Estelle qui a perdu son bébé en toute « n de grossesse. « J’ai commencé à ressentir des contractions douloureuses, qui sont très vite devenues rapprochées. Mon mari m’a emmenée aux urgences et tout le personnel m’a rassurée puisque j’en étais à mon huitième mois de grossesse. Alors que je m’apprêtais à accueillir mon enfant tant attendu, on m’a annoncé qu’il était décédé. J’ai entendu mon mari pleurer derrière la porte, notre rêve s’est transformé en tragédie. J’ai accouché sans bruit dans une douleur émotionnelle immense, j’ai porté mon bébé et je l’ai embrassé. Au lieu de choisir sa tenue de naissance, j’en étais, de mon lit d’hôpital, à choisir son cercueil… On ne se remet jamais de la perte d’un enfant, on apprend juste à vivre avec. Aujourd’hui, j’ai deux beaux enfants mais, Adam, mon $ls décédé fait aussi partie de ma vie et pour toujours. Et quand on me demande combien j’ai d’enfant, je réponds que j’en ai trois, deux qui peuvent courir et un qui sait voler. »
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