Hyperphagie, anorexie, boulimie, autant de noms de troubles liés à l’alimentation dont souffrent de nombreuses personnes. Un mal souvent invisible et sournois mais, ô combien difficile à combattre, au quotidien. Quand les angoisses et les traumas s’accumulent la crise n’est jamais loin.
Boulimie, hyperphagie, anorexie… Les troubles du comportement alimentaire relèvent avant tout de problèmes psychiques. Dépression, troubles de la personnalité ou addictifs accompagnent souvent ce dérèglement. Ces désordres désignent une manière de se nourrir non conventionnelle, mais plutôt compulsive. Elle est d’ailleurs, souvent accompagnée de prise de laxatifs ou de vomissements pour éviter la prise de poids. Selon la HAS (Haute Autorité de Santé) : « La boulimie touche particulièrement les adolescentes et les jeunes adultes. On estime que 1,5 % des 11-20 ans en souffrent, parmi lesquels, trois fois plus de filles que de garçons. L’hyperphagie boulimique est quant à elle plutôt diagnostiquée à l’âge adulte et touche presque autant les hommes que les femmes, 3 à 5 % de la population seraient concernés ».Ces phénomènes surviennent souvent à l’adolescence, après un traumatisme, une dépression, par exemple. Ils ont des répercussions négatives, voire dangereuses sur le quotidien. Si aujourd’hui certaines études ont permis de faire le lien entre ces maladies et des facteurs génétiques ou encore neurobiologiques, les origines peuvent être multiples et encore mal connues.
Des crises d’angoisses constantes
Lamia, 31 ans souffre de boulimie. Elle a vécu de grands drames durant son enfance qui, selon elles ont généré chez elles des problèmes psychologiques. « Petite, j’ai été abusée par un ami de la famille chez qui mes parents me déposait souvent lorsqu’ils allaient travailler. Je n’étais pas la seule, il gardait aussi d’autres enfants. Il trompait les gens avec sa fausse gentillesse et personne ne se doutait qu’il pourrait commettre des actes aussi horribles avec des enfants. Même si aujourd’hui, je l’ai traîné devant la justice. Je souffre terriblement. Je suis constamment en train d’angoisser, au travail ou dans mes relations sociales. Je ne parviens pas à trouver d’équilibre dans ma vie, ni de stabilité. Je ne trouve pas l’homme avec qui je souhaite passer le reste de mon existence. Je multiplie les relations amoureuses et quand je pense avoir trouvé la bonne personne, finalement, quelque chose dans son attitude ou ses paroles va me déranger. Lorsque j’étais plus jeune, j’étais anorexique, mais à présent je suis devenue boulimique. Je suis passé d’un extrême à l’autre, de la fille hyper maigre, à une taille XXL. Même si je fais du sport et me dépense, je ne perds pas ce poids, ce qui me déprime encore plus. C’est un cercle vicieux, dans lequel je m’engouffre davantage chaque jour. Mes crises sont assez régulières, dès que quelque chose m’atteint, que je stress, je me rue sur la nourriture. Je mélange tout, sucré, salé, sauces, fromages, gâteaux… A la fin, je suis sur le point de m’exploser et je vomis. J’éprouve aussi un fort sentiment de culpabilité, des douleurs atroces à l’estomac et à l’œsophage. Je ne veux surtout pas grossir, alors je m’inflige ces souffrances. D’ailleurs, cette pathologie a causé chez moi d’autres soucis de santé comme le diabète, de l’hyperthyroïdie… Je tente de me soigner aux anti- dépresseurs mais ils ont des effets secondaires que je ne supporte pas. Je m’endors, je me sens toute faible, alors, bien souvent j’arrête tout traitement surtout lorsque je suis au travail. Mes crises peuvent se calmer, lorsque je me sens bien et que je suis détendue, par exemple ».
Une maladie qui se tarit dans l’ombre
Hind, 37 ans lutte en permanence, contre ses envies irrépressibles de consommer, en grande quantité, des friandises pour y trouver du réconfort. « J’ai commencé à manger sans compter depuis que j’ai 12 ou 13 ans. Au début, je pensai qu’il ne s’agissait que d’une simple gourmandise. Je pouvais manger deux ou trois tablettes de chocolat les unes après les autres, alors que ma sœur s’arrêtait généralement à une ou deux barres maximum. Malheureusement, tout au long de la soirée, je continuais à dévorer des gâteaux, des bonbons et tout ce qui pouvait se trouver sur mon chemin. Je faisais ça à l’abri des regards. Je pouvais vider les armoires sans aucun scrupule. Je ne pensais qu’à éteindre ces envies incommensurables de manger. A la fin j’étais dégoutée de moi et je me demandais pourquoi j’avais ce rapport avec la nourriture. D’ailleurs, ma mère ne comprenait pas d’où me venait cet appétit. Elle pensait que j’agissais ainsi par égoïsme. Lorsque survenaient mes crises, je culpabilisais tellement, au point de ne plus pouvoir dormir. Je ne parvenais pas à me contrôler, un peu comme si je n’étais pas dans mon corps à ce moment-là. Aujourd’hui, j’essaye de reprendre le contrôle sur mes pulsions. Elles sont toujours présentes, mais je fais tout pour ne pas y songer. Pendant, plusieurs années, personne ne s’est jamais douté que je souffrais d’une maladie qui n’est autre que l’hyperphagie. C’est en allant chez le psychologue, mon médecin traitant, le diététicien, que nous avons pu mettre un terme sur mon mal. J’essaye de faire du sport au maximum, de mener des activités diverses pour compenser ce problème. Je me suis même inscrite à des cours d’arabe pour apprendre le Coran. Les sourates ont un effet très apaisant ».
Une transformation psychique et physique
Si les personnes atteintes de boulimies ne grossissent pas spécialement, celles souffrant d’anorexie, maigrissent de manière brutale. Sabeha 44 ans est devenue anorexique, à la suite de son divorce, il y’a trois ans. « Je me suis renfermée sur moi-même. Je ne sortais plus. Même si je préparais toujours à manger, je ne m’alimentais plus. Je n’en n’avais ni la force, ni l’envie. Mes deux enfants âgés de 12 et 15 ans ne comprenaient pas ce qu’il m’arrivait. Quant à moi, je maigrissais rapidement, au fil des jours, sans vraiment m’en soucier. D’ailleurs, je n’admettais pas être malade. Après avoir perdu 15 kilos, ma mère a tiré la sonnette d’alarme et m’a trainé chez notre médecin de famille, car je ne souhaitais pas y aller, par moi-même. Le mal me rongeait, il portait un nom : l’anorexie. Le médecin m’a aidé à comprendre et à accepter ce dont je souffrais. A mesure que je ne m’alimentais plus, je faiblissais, je tombais, j’avais des vertiges, je faisais souvent des malaises. Je commençais à craindre pour ma vie, alors, j’ai décidé de me prendre en main, de m’entourer de vraies amies, qui savent m’écouter. J’ai repris le travail, je prends encore plus soin de moi que lorsque j’étais mariée. Je tente de contrer mes crises ainsi, sans trop avoir recours aux médicaments. Je les prends uniquement lorsque mon moral est au plus bas. J’ai repris un peu de poids, même si je fais encore attention, mais j’évite de me torturer l’esprit et le corps aussi ». S’il est important de pouvoir dépister au plus vite ces troubles, la HAS alerte sur les effets pervers de la stigmatisation. Selon elle, « Le premier et principal frein à l’accès aux soins est le sentiment de honte ressenti par les patients : ils osent peu parler de leurs crises vécues dont ils se sentent responsables ».Finalement, ces personnes se retranchent dans le silence car elles sont souvent mal perçues par les autres. Il leur est d’ailleurs, trop souvent reproché de se « laisser aller », ainsi que de manquer de volonté.