Oublier un dîner. Se tromper dans l’horaire du train que l’on doit prendre. Égarer ses billets de concert ou ne plus penser à aller chercher ses enfants à la sortie de l’école… Dur, dur de vivre sur une autre planète !
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Bien sûr, il y a les grands classiques : pendant une demi heure, on fait l’inventaire du frigo, des placards, on dresse la liste des courses puis, au moment d’arriver au supermarché… Bingo ! Comme à chaque fois ou presque, on a oublié la liste à la maison. Quand ce n’est pas notre porte-monnaie. Nos lunettes ? Oh, on ne s’inquiète même plus lorsqu’on les a perdues ! On sait qu’on les retrouvera. Dans le frigo ou dans le lave-vaisselle, mais on les retrouvera ! Parfois, la distraction peut être plus ennuyeuse et causer de fâcheuses conséquences. Comme ce jour où on a laissé notre carte de crédit dans le distributeur automatique, et l’argent que l’on venait de retirer avec. « Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai oublié les clés de ma voiture sur la portière ou sur le contact, et celles de l’appartement dans la serrure. Chaque fois, j’ai eu beaucoup de chance : je les ai toujours retrouvées le soir au même endroit, nous raconte Sofia en éclatant de rire.
Aujourd’hui, je m’en amuse, mais sur le moment je ne suis pas fière. Surtout, je me garde bien de le dire à mon mari, sans quoi, il me passerait un sacré savon. À juste titre, d’ailleurs ! » Être tête en l’air, pas de doute, c’est stressant. « Le problème des gens distraits, c’est surtout ce sentiment d’être victime d’eux mêmes, la culpabilité qu’ils ressentent face à leur propre étourderie », confirme Daniel Defert, psychothérapeute.
L’étourderie n’a pas d’âge !
Pourtant, on a beau le savoir, s’en vouloir, on a beau faire attention, décidément non… être étourdi ne se guérit pas ! Jamais. Une sorte de maladie chronique – bénigne, heureusement – avec laquelle on doit composer. Car on a beau avancer en âge, rien n’y fait. Pourtant, plus jeune, on nous rassurait : « Avec l’âge, tu auras du plomb dans le crâne ! » disaient nos anciens. Faux, archi faux. Tête en l’air on est, tête en l’air on reste ! Comme une seconde nature contre laquelle on ne peut rien. « Plus jeune, ce n’était ni pire ni mieux, poursuit Sofia. Je me souviens qu’à 20 ans, je me suis trompée de quai à la gare de Lyon : au lieu d’aller à Marseille, j’ai pris un direct pour Genève. Évidemment, je m’en suis aperçue une fois le train parti. » Peu importe l’âge, donc. La seule différence c’est qu’en vieillissant, on a pris l’habitude, on philosophe. On retient même quelques leçons de ses étourderies passées. Les plus ennuyeuses, surtout. Comme quand on a laissé une casserole d’eau sur le feu pendant des heures. Ou son sac à main sur le toit de la voiture avant de partir à un rendezvous l’esprit tranquille… Plus jamais ça, évidemment ! Mais pour le reste… Oublier de descendre à la bonne station de métro, partir au boulot le sac-poubelle à la main, zapper un dîner auquel on avait invité six personnes, ça, non, ça ne change pas ! Mais puisqu’on est rôdé, on s’en amuse. Et on peut même le transformer en arme de séduction, faire rire amis ou collègues : « Oui, j’adore promener ma poubelle ! Ça te dérange ? » Effectivement, pourquoi ce serait grave, après tout ?
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Le problème, ce sont les autres
S’il en rit d’abord, l’entourage peut vite s’agacer de nos étourderies. Surtout lorsqu’il doit en subir les conséquences à répétition. Perdre les clés de la maison une fois, cela arrive. Trois fois par an, en revanche… À la longue, au sein du couple ou de la cellule familiale, il n’est pas rare que des conflits apparaissent. Leïla se souvient de la crise énorme quand, la veille de son départ pour Londres, et alors qu’elle avait tout préparé depuis des semaines, la catastrophe a surgi : « En guise de cadeau de Noël, j’ai invité mon fiancé à Londres. Il ne connaissait pas, rêvait d’y aller. Alors sous le sapin, il a trouvé une enveloppe : “Bon pour un week-end chez la Reine”. Nous devions partir début mars. Entre-temps, j’ai réservé l’Eurostar, j’ai loué un appartement hyper romantique qui donnait sur Hyde Park. Et même deux places pour une comédie musicale que nous avons choisie ensemble. Le week-end s’annonçait magique. Mon chéri était tout excité. Moi aussi, d’ailleurs ! La veille du départ, les valises étaient bouclées quand je lui ai demandé s’il avait bien pensé à prendre ses papiers d’identité. Et là… catastrophe ! Il est devenu blême. Sa carte d’identité était périmée depuis huit mois. Nous avons perdu 800 euros à cause de son étourderie. Inutile de vous dire que j’étais particulièrement énervée. Je lui ai fait la tête pendant trois jours ! » Face aux énervements bien légitimes, Daniel Defert met toutefois en garde : « Au-delà des soucis de couple que l’étourderie peut générer, il y a aussi l’agacement des parents face à leurs enfants tête en l’air. Ils y voient de l’irresponsabilité quand ce n’est bien souvent que de la distraction. Les parents d’étourdis doivent savoir que c’est pour les jeunes que ce “handicap” est le plus lourd à porter. Donc inutile d’accabler, de gronder. En revanche, on ne colmate pas tout de suite l’erreur en remplaçant ce qui est perdu ou en effaçant les conséquences. Il faut tout de même que le distrait tente de retenir la leçon. » Ou pas. Car on l’a dit, quand on a la tête dans les nuages, on l’a généralement pour toujours. Ben oui, c’est tellement beau la vie, vue d’en haut !… •
D’où ça vient ?
Difficile à dire. Lorsqu’elle n’est que passagère, ce peut être la preuve d’un état de fatigue avancé. Ou celle que l’on a la tête ailleurs. C’est bien connu : les amoureux transis, par exemple, sont de grands spécialistes de la distraction, tout occupés à penser à leurs battements de cœur plutôt qu’aux contingences quotidiennes… Lorsqu’elle est plus durable , l’étourderie est souvent l’effet du stress qui nous empêche de pouvoir penser à tout : ainsi, si l’on a des soucis au travail, oublier de rapporter le pain en rentrant le soir – comme on l’avait pourtant promis – est finalement bien compréhensible. « On sait que le stress nuit à la mémoire, et que le stockage d’informations dans la mémoire vive immédiate n’est pas plus illimité que sur une clé USB. Si le fichier “pain” est dupliqué trois mille fois dans notre cerveau à force de nous répéter qu’il ne faudra pas oublier, on risque encore plus de l’oublier. Car, chez la majorité d’entre nous, plus la peur de l’oubli est forte, plus le risque est grand ! La pression n’est pas la meilleure amie des natures distraites », explique le psychothérapeute Daniel Defert.
Un impératif, donc : on relâche la pression. S’il n’y a pas de pain, on s’en passera. Si on a oublié de préparer le dîner quand on a invité des amis, on fera des pâtes. Et puis, les post-it sont faits pour parer aux oublis, non ? Comme l’option « Alerte » sur les portables. Cela étant, le seul stress n’explique évidemment pas tout. Parfois – souvent ? – c’est aussi notre inconscient qui parle. « L’étourdi vit, en quelque sorte, dans un état de conscience modifiée, avec l’inconscient à ciel ouvert. Cet avion, est-ce que l’on voulait vraiment le prendre ? Ce rendez-vous important mais qu’on a zappé ne nous angoissait-il pas, en vérité ? Ne s’y rendait-on pas sous l’influence du “surmoi” – la vitrine sociale – plutôt que du “moi” – la personnalité profonde – ? » Et si les étourdis commençaient par s’écouter ?
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