Peintre et poète libanais, Khalil Gibran est connu pour son chef-d’œuvre, grand classique de la littérature mondiale, Le Prophète. Aujourd’hui encore, ses écrits figurent parmi les plus vendus en librairie. Mais qui était Khalil Gibran, l’homme ?
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Livre à la main, sourcil froncé, regard pénétrant : les photos en noir et blanc de Khalil Gibran ne disent pas grand-chose de l’homme qu’il a été. Sa vie est à la mesure de l’héritage artistique qu’il laisse derrière lui : fascinante et mystérieuse. Khalil Gibran est né en 1883 à Bsharri, petite ville de l’Empire ottoman qui deviendra libanaise. Il grandit au sein de la communauté chrétienne maronite, d’un père aux cent métiers et d’une mère, fille de prêtre. Sa famille, très pauvre, ne peut l’envoyer à l’école ; le jeune Khalil se cultive seul, en apprenant des passages de la Bible ou les bases de la langue arabe. Son enfance est marquée tant par la douceur de sa mère que par les excès de son père, qui, de jeux en paris, dilapide le peu de ressources dont la famille dispose.
Des montagnes libanaises à new york
En 1891, son père est emprisonné pour détournement de fonds. C’en est trop pour Kamila Gibran, la mère de Khalil, qui décide de rejoindre son frère aux États-Unis avec ses quatre enfants. Une nouvelle vie commence alors pour le jeune garçon, qui passe sans transition des paisibles montagnes libanaises à la vie trépidante de Boston. Pour la première fois, le jeune garçon met les pieds dans une vraie école. Travaillant jour et nuit pour rattraper son retard, il est d’emblée considéré comme l’un des élèves les plus brillants de sa classe. Pour étancher sa soif de culture, le jeune garçon est aussi inscrit dans une école d’art, la Denison House, où il fera une rencontre décisive : celle de l’artiste d’avant-garde Fred Holland Day, qui mesure tout le potentiel du jeune homme et encourage sa créativité. Voyant son fils s’acculturer peu à peu – et oublier les rites et les mots de son enfance –, Kamila Gibran décide de le renvoyer, à 15 ans, au Liban. Là-bas, il perfectionnera son arabe oublié et s’imprégnera de la culture orientale de son Liban natal. Avec des amis, il lance un magazine culturel et ne cesse de couvrir ses cahiers de lycéen d’écrits qui lui vaudront d’être élu « meilleur poète de l’université » plusieurs années de suite.
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La mort des siens
Cette existence heureuse est interrompue par une série d’événements dramatiques : en 1902, à 19 ans, il doit retourner aux États-Unis, où sa sœur Sultana est malade de la tuberculose. Elle décédera deux semaines avant son arrivée. Quelques mois plus tard, la même maladie emporte son frère Peter, et sa mère meurt d’un cancer. Khalil n’a désormais plus que sa sœur Mariana, qui travaille d’arrache-pied dans un magasin de confection pour lui permettre de vivre de son art. Une nouvelle fois, Khalil se déracine. Il part à Paris, où il étudiera l’art avec assiduité à l’académie Julian. Son style en peinture, mâtiné de romantisme et de réalisme, est empreint d’un symbolisme que l’on retrouvera dans ses écrits. Sa première exposition se tient à Boston, en 1904 . Il y rencontre Mary Haskell, qui deviendra sa muse et sa mécène. Elle l’encouragera à privilégier l’écriture autant que la lecture, et publiera ses premiers écrits. À l’aube des années 1920, Khalil Gibran délaisse peu à peu le pinceau au profit de la plume, et l’arabe au profit de l’anglais. Son premier livre, The Madman, est un petit recueil d’aphorismes et de paraboles écrit dans un style qui n’est pas sans rappeler celui de la Bible et où la prose est souvent voisine de la poésie. L’écriture de Khalil Gibran, puissante et riche, puise son inspiration au croisement des diverses cultures qui l’ont vu grandir. Ses œuvres sont marquées par le christianisme, mais également par le mysticisme soufi. Apolitique, il souhaite que ses écrits, universels, puissent résonner en chaque être humain sans considération de religion. « La terre entière est ma maison, et tous les hommes sont mes compatriotes », répète-t-il souvent.
Traduit en quarante langues
En 1923, le poète publie son chef-d’œuvre : Le Prophète. Aujourd’hui traduit en quarante langues et tiré à des millions d’exemplaires, l’ouvrage, qui serait le livre le plus lu après la Bible, compile vingt-six fables narrant les aventures d’Almustafa, prophète itinérant discutant avec ses semblables de l’amour, du mariage, de la joie et de la peine, de la religion, du plaisir, des crimes et de leurs châtiments, de la vie et de la mort. Bien qu’ignoré par une partie de la critique – qui lui préfère des œuvres plus académiques –, l’ouvrage connaît un immense succès populaire : des extraits du livre ont été repris dans des discours politiques comme dans des chansons, lus au cours de mariages ou d’enterrements dans le monde entier. Des Beatles à John Kennedy en passant par Gandhi, Khalil Gibran a influencé les grands hommes de son siècle par le message universel et pacificateur de son œuvre. Spirituel sans être prosélyte, il touche chacun sans distinction d’origine ou de religion : raison pour laquelle Le Prophète est érigé, dans les années 1960, en bible de la contre-culture. Le succès des écrits de Khalil Gibran ne l’épargne pas de nombreux problèmes personnels. Consumé par son travail et hanté par les fantômes de sa famille décimée, il se réfugie dans l’alcool et la solitude. Sa santé décline sans cesse : il boit vingt à trente tasses de café par jour, fume cigarette sur cigarette et s’alcoolise. Une cirrhose suivie d’un cancer du foie l’emporte à l’âge de 48 ans. Après des obsèques monumentales aux États-Unis, où des milliers de lecteurs lui rendent hommage, son corps est rapatrié par bateau vers sa terre bien-aimée, le Liban, où il a souhaité reposer. Ce sera son dernier voyage. Sur sa tombe, il demande à ce que soient inscrits ces mots : « Je suis venu ici pour prendre le parti de tous et pour être avec tous, et ce que je dis aujourd’hui dans ma solitude sera répété demain par l’écho de la multitude. Ce que je dis maintenant avec un seul cœur sera dit demain par des milliers de cœurs. » Le succès de son œuvre, immortelle, semble lui donner raison.
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