Dans nos cultures, mais aussi dans d’autres cultures à travers le monde, le mauvais œil est vu comme responsable de bien des déconvenues… Certaines y voient même la justification à tous leurs malheurs. Ouvrez l’œil, et le bon !
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Dès la naissance, nous entourons nos enfants de rites et de précautions pour contrer le mauvais œil. Il semblerait que les poupons attirent les plus grandes convoitises et que leur intériorité seule ne leur permet pas (encore) de lutter contre le mauvais œil. Main de Fatma, petit poisson en or, Coran cousu dans la literie, henné, « œil turc », interdiction de le montrer à une jeune mariée… Et même claustration jusqu’à un certain âge. En effet, quel meilleur remède que de cacher son petit bout au monde pour lui éviter de rencontrer le mauvais œil ? Cet œil tellement envieux et désirant qu’il peut tout détruire à son passage, allant jusqu’à la mort ? Les personnes qui n’y croient pas restent dès lors dubitatives. C’est le cas de Jnina, jeune doctoresse, pour qui « toutes ces histoires de mauvais œil, c’est juste pour tenter de donner une explication fataliste à des malheurs que nous ne maîtrisons pas, ou plus. Quand une personne ne parle que du mauvais œil, je me méfie, je me dis qu’elle va très mal. Pas à cause du mauvais œil, mais peut-être se sent-elle démunie, en dépression ? D’un autre côté, ça peut être rassurant quand on se sent impuissant face à une situation, c’est un commentaire » facile » qui aide aussi à lâcher-prise, on dit » c’est le mauvais œil « , comme on dit » c’est la vie « , on n’y peut rien, c’est comme ça ! » Jnina est marquée par la fin tragique de sa tante que lui a racontée sa mère, morte brûlée vive à l’âge de 2 ans à cause d’un rite censé éloigner le mauvais œil… Sa tante était une très belle enfant, bien dodue et blanche, « enviée de tous », semblait-il. Un jour, sa peau a été recouverte de boutons affreux, des pieds à la tête, sans que la médecine n’en comprenne l’origine. La grand-mère de Jnina s’est tournée vers la tradition. On lui a recommandé de tenir sa fillette au-dessus de cendres encore vives en récitant le Coran, pour éloigner le sort. Mais la petite lui a échappé des mains… « Encore le mauvais œil ? », ironise souvent Jnina, stupéfaite de certains rites archaïques pratiqués au Maghreb où elle organise des séminaires. D’autant qu’il y a les victimes du mauvais œil, et celles qui se savent capables de le porter, parfois malgré elles ! Quand elles veulent se guérir, ces dernières, qui sont victimes de leur propre mauvais œil et ne veulent pas semer le malheur autour d’elles, peuvent user de pratiques comme se maquiller les yeux au khôl à l’aide d’une aiguille qui a servi à coudre le linceul d’un mort… De préférence, récemment !
Se livrer aux mains du Seigneur
Pourtant, si le Coran mentionne bien l’existence du mauvais œil, tout le « folklore » autour est considéré comme une vaine superstition ! Le premier moyen de lutter contre le mal de l’envieux serait d’implorer Allah. Dans la sourate Al Falaq (L’aube naissante – 113), il est écrit : « Je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube naissante, contre le mal des êtres qu’Il a créés, contre le mal de l’obscurité quand elle s’approfondit, contre le mal de celles qui soufflent (les sorcières) sur les nœuds, et contre le mal de l’envieux quand il envie. » Mais les croyances dans les gri-gri et autres rites perdurent… D’autant que certaines sensations sont troublantes. On peut se sentir véritablement envahie par le mal après un compliment, faire une chute de tension (ou d’escalier) suite à un regard que l’on a senti négatif, etc. Et il y a aussi des rites qui laissent perplexe. Wassila se souvient que sa mère l’avait emmenée, petite, chez une femme qui devait la guérir du mauvais œil. Elle faisait de violents cauchemars chaque nuit. Cette femme, dont elle se souvient parfaitement, puisqu’elle dégageait une véritable gentillesse, lui avait posé un foulard sur le ventre en lui disant que s’il se mettait à crépiter comme du maïs sur le gril, c’est que c’était bien le mauvais œil qui l’habitait. Et ce fut le cas… Certes, le recours à la « sorcellerie » est de moins en moins pratiqué, mais il fait encore des émules et des adeptes !
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Quand le mauvais œil semble s’acharner
Samira, la trentaine, raconte cette histoire où d’autres femmes non mariées pourront s’identifier… : « Je voudrais témoigner sur le mauvais œil. Personnellement, j’y crois et Allah nous a informés que ça existait, tout comme la sorcellerie, malheureusement. Le mauvais œil peut se traduire par une ou plusieurs personnes qui te félicitent pour quelque chose sans dire » Mach’Allah « , soit en oubliant de le dire consciemment ou inconsciemment. Là, c’est de la jalousie qui en sort et la personne a donc porté l’œil. Pour ma part, j’ai eu jusqu’à maintenant beaucoup de personnes jalouses autour de moi. Dès que je réussissais quelque chose, on me félicitait, mais sans être réellement sincère et du coup des choses négatives arrivent. Par exemple, quand j’ai eu ma première voiture, j’ai fait énormément de réparations. J’aurais pu m’en acheter une neuve avec tout ce que j’ai mis comme argent pour la réparer. Je l’ai gardée quatre ans et j’ai fini par la vendre. J’ai acheté une autre voiture et là trop de mauvais œil, de jalousie et donc plein de rayures dessus, à peine achetée. J’ai 31 ans et je suis célibataire. J’ai été demandée en mariage plus jeune plusieurs fois, mais je ne me suis pas mariée. Dernièrement, j’ai fait des rencontres et j’ai cru avoir trouvé mon prince, mon futur mari, et comme à chaque fois tout se passe bien au départ, on parle de mariage… Et d’un coup ça ne va plus et l’histoire se termine. Ce n’est pas normal. Je ne comprends pas pourquoi. Je crois donc qu’on m’a porté l’œil. On me répète que je suis belle depuis des années sans dire » Mach’Allah « , ce qui doit me porter l’œil et on me demande comment ça se fait que je ne suis pas mariée. Trop de jalousie, trop de choses négatives, méchantes autour de moi, qui bloquent ma vie. Je pense même peut-être qu’on m’a fait de la sorcellerie pour que je ne me marie pas. J’ai eu une période de dépression importante alors que j’ai un travail, une famille, des amies… Je ne parlais pas beaucoup, je n’avais goût à rien… Aujourd’hui, j’ai un peu avancé dans ma vie, je ne suis plus aussi déprimée qu’avant. Je vis seule. J’ai retrouvé ma foi en Allah et je remets ma confiance en Dieu plus qu’avant. J’ai toujours été croyante et pratiquante et les épreuves à surmonter sont difficiles mais je dois les accepter. C’est le destin. Je voudrais seulement me marier. Je garde la foi, même si c’est dur, car les années passent et j’espère que mon prince va bientôt arriver. » Les belles femmes qui ne se marient pas, ça existe partout, mais est-ce bien le simple fait du mauvais œil ? N’estce pas par exemple, comme dans le cas de Samira, cette éternelle histoire de la femme qui réussit tout sauf… sa vie de famille, et ce dans toutes les latitudes, parce qu’elle fait peur aux hommes qui ne savent pas ouvrir le bon œil ? Sa première voiture ne serait pas la première voiture d’occasion à dérailler, et des jaloux qui griffent les nouvelles carrosseries seraient tout simplement des jaloux sans autre pouvoir que de savoir utiliser leurs clés sur des voitures neuves ? Mystère… A chacune sa réponse ! •
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