Peur du jugement ou du rejet, sentiment de honte, etc. Il n’est pas facile d’accepter ses racines et de les assumer sans complexe lorsque l’on a été victime de racisme dans sa jeunesse. À l’âge adulte, il est parfois plus simple de nier ses origines pour éviter les discriminations.
Le racisme, quel qu’il soit, engendre souvent un profond mal-être. En effet, subir le racisme durant son enfance ou son adolescence n’est pas sans conséquences à l’âge adulte. Si certaines personnes affirment d’autant plus leur fierté d’appartenir à telle ou telle communauté, d’autres, au contraire, tentent d’effacer le moindre indice qui pourrait « trahir » leur origine.
LA SOUFFRANCE DU REJET
Houria, 39 ans, est d’origine marocaine. Elle a toujours été gênée par ses racines. « À l’école, les enfants se moquaient beaucoup de mes parents, surtout de ma mère voilée qui ne parlait pas bien le français. Certains mimaient sa gestuelle, sa façon de s’exprimer. Quant à moi, je n’osais trop rien dire et il m’arrivait de verser une larme tant cela me touchait. Je me refermais sur moi-même car je souffrais de me sentir si différente de ces petites filles aux yeux clairs et aux cheveux raides. De mon côté, je devais brosser mes cheveux frisés et surtout les attacher pour mieux les dompter. En dehors des brushings que ma mère me faisait parfois, je n’avais pas la chance de sentir le vent traverser ma longue crinière bien fournie. Les autres enfants me faisaient sentir que je n’étais pas comme eux, ils me disaient souvent : « T’es pas belle ». Un garçon m’a même dit un jour : « Ta couleur de peau ressemble à du caca ». Cette parole me blesse encore aujourd’hui et il m’arrive même de m’effondrer en pleurs quand j’y repense. Je n’avais pas beaucoup d’amis, à part quelques-uns qui étaient, comme moi, issus de l’immigration. À mon époque, les professeurs n’étaient pas très doués pour aborder les différences ethniques. Eux-mêmes avaient la tête emplie de stéréotypes, même lors des cours d’histoire. D’ailleurs, ils nous faisaient également sentir que nous n’avions pas le même niveau que les autres et que la société ne nous proposerait pas de postes importants lorsque nous grandirions. Je garde un très, très mauvais souvenir de mon enfance. Aujourd’hui, Dieu merci, j’ai puisé de la force pour réussir dans la vie. J’ai un bon travail, une famille. Cependant, dans ma vie sociale, je me braque si l’on évoque la question de mes origines. Je peux très vite sortir de mes gonds car je trouve inutile de rappeler aux gens d’où ils viennent, notamment dans un cadre professionnel».
LA CRAINTE D’ÊTRE MAL JUGÉE
Hizya, 26 ans, est d’origine algérienne. Très jeune, elle s’est mise à nier son appartenance ethnique malgré un physique et des traits typés méditerranéens. « Au collège et au lycée, j’ai commencé à souffrir de mes origines. Je remarquais bien, par exemple, que les garçons allaient plus facilement vers les « blanches » que vers les « beurettes » comme ils aimaient nous appeler. Pour eux, nous étions trop « prise de tête », pas assez ouvertes d’esprit, pas assez faciles à leur goût, d’ailleurs. Même les garçons d’origine maghrébine avaient ces aprioris-là, et ils étaient attirés par le type européen, à croire que c’était le seul canon de beauté existant. J’ai commencé à complexer et à penser que nous, les Arabes, n’étions pas jolies car trop mates, trop bouclées, pas assez ceci, pas assez cela… J’ai commencé à me teindre les cheveux en blond, à mettre des lentilles de couleur verte, à utiliser des fonds de teint et des crèmes éclaircissantes pour effacer au maximum ce physique qui, selon moi, était disgracieux. J’ai véritablement subi des préjugés raciaux durant une bonne partie de ma jeunesse. Du coup, quand on me demandait mon origine, je laissais deviner, et la première réponse était bien évidemment : « Tu es “rebeu” ». Je prenais alors mon air le plus interloqué possible et je leur répondais : « Non, tu te trompes, je suis espagnole/portugaise/italienne ». Bizarrement, cela fonctionnait très bien. Si j’avais le malheur de dire que j’étais algérienne, je lisais une sorte de mépris dans leur regard et percevais un blocage dans leur voix. Je n’exagère rien ! Nous, les maghrébins, et surtout les Algériens, gardons à l’esprit les marques indélébiles de la colonisation. Au fond de moi, je suis fière d’être ce que je suis. Cependant, pour m’éviter des problèmes de racisme, je préfère ne jamais évoquer ma culture ni ma religion, car finalement, cela ne regarde personne ».
UN SENTIMENT DE HONTE PERMANENT
Aziza, 33 ans, est d’origine algérienne. Elle aime sa double culture et les voyages dans son pays d’origine. Cependant, pour être mieux acceptée par les autres, elle évite depuis quelques années la question cruciale de ses origines. « J’ai comme une honte permanente à les assumer, surtout que l’image des maghrébins est souvent salie par certains groupes de personnes issues de la communauté. Je ne montre rien, j’ai de la « chance » de ne pas être trop typée, j’ai un physique un peu « passe partout », car j’ai les cheveux blonds et les yeux verts. Je pourrais aussi bien passer pour une Européenne. Pourtant, certains m’interrogent tout de même sur mes racines. Comme si, pour établir le contact ou pour évaluer le degré de confiance qu’ils peuvent m’accorder, ils étaient obligés de poser cette question. Je me souviens qu’au lycée un camarade m’avait demandé de quelle origine j’étais. Lorsque je lui ai dit que j’étais algérienne, il a tout de suite répliqué : « Oh mais vous êtes dangereux là-bas » ! Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Je suis restée choquée, je ne m’y attendais pas. En revanche, j’ai remarqué que lorsque je dis que je suis kabyle, cela « passe » mieux. Quelqu’un m’a même dit : « Vous êtes plus tolérants et bons vivants que les Arabes » ! J’aurais pu apprécier, mais cette remarque est mal passée. Je suis contre ce type de comparaison qui divise encore plus les peuples. Arabes ou Kabyles, nous sommes issus de la même terre. J’ai décidé, il y a six ou sept ans, de ne plus répondre lorsqu’on m’interrogeait sur mes origines. Quand une amie ou une collègue me parle en arabe, je ressens toujours une petite gêne. Je lui réponds en français et je lui demande discrètement de ne pas communiquer avec moi en arabe pour ne pas être mal jugée. Malheureusement, les gens ont toujours tendance à regarder de travers les personnes parlant une langue arabe, chose qu’ils ne font pas avec les autres communautés ». Les amalgames et le climat français parfois hostile aux musulmans n’aident pas les maghrébins à être acceptés par la société. Certains usent d’artifices pour atténuer leurs traits physiques, adoptent des habitudes issues de la culture européenne, d’autres n’osent pas affirmer leur religion, etc. Chacun manifeste de manière différente ce complexe d’infériorité lié à l’origine ethnique, jusqu’à nier leurs origines.