Grossesse, maladie, dépression… Quelle que soit la raison, il y a des années où, notre état physique ou psychique ne nous permet pas de jeûner. Pourtant, ce n’est pas la volonté qui manque et cette situation provoque tristesse et désarroi chez les personnes attachées au mois sacré.
« Et quiconque est malade ou en voyage, alors qu’il jeûne un nombre égal d’autres jours. Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour vous (Coran, 2:185) ». Pas évident de manquer un Ramadan lorsqu’on a pour habitude de jeûner. Culpabilité, stress, sentiment de ne plus être un bon pratiquant… Certaines personnes ne conçoivent pas le Ramadan en mangeant, et cela, même si elles remplissent les autres actes d’adorations fortement recommandés durant ce mois, comme la salat, la zakat… Cependant, elles sont parfois contraintes de ne plus l’honorer. Parfois, il peut représenter une menace pour leur santé, leur futur enfant si elles sont enceintes, par exemple… Pour ces raisons et bien d’autres, l’Islam autorise le croyant de ne pas pratiquer cet acte de dévotion. Ces personnes peuvent, par la suite, soit rattraper les jours manqués, au cours de l’année et avant le Ramadan suivant, soit donner une compensation pécuniaire équivalente à un repas pour nourrir les nécessiteux. Bien qu’il existe des solutions pour contrebalancer ce manquement, certaines personnes ont du mal à accepter cette situation et préféreraient davantage jeûner que de sentir en marge des autres.
Un profond sentiment de nostalgie
Souad a 37 ans. Elle a été diagnostiquée d’une cirrhose il y a huit ans. Depuis, il lui est interdit de jeûner car cela la mettrait en danger. Elle qui n’a jamais raté ce rendez-vous nous raconte le choc lorsqu’il lui a été annoncé qu’elle devait renoncer à cette période qu’elle apprécie particulièrement. « Lorsque j’ai demandé au médecin si je pouvais faire le Ramadan, il me l’a interdit. En posant la question, je me doutais un peu de la réponse, mais je ne pensais pas que cela aurait été un non catégorique. Je croyais qu’il m’aurait vivement déconseillé de le faire ou qu’il m’aurait donné quelques recommandations à suivre. Il m’a expliqué que si je jeûnais encore, je mettrais en péril ma vie. Or ce n’est pas le but du Ramadan, au contraire, il faut que les privations nous apportent des bénéfices aussi bien physiquement, mentalement, que spirituellement. Je ne souhaitais en aucun cas intenter à mon existence. C’était difficile à accepter, surtout au départ. Je me suis sentie sortir de la religion un peu comme si j’étais une traîtresse. Je me surprends parfois à repenser avec beaucoup d’amertume à l’époque où je n’avais aucun problème pour jeûner. J’essaye de me souvenir de cette saveur si particulière, de ces nuits blanches passées à prier, du repas du s’hour ou encore de la préparation du repas de rupture. A présent je l’accepte mieux, car je sais que si je donne de l’argent pour chaque jour en compensation à des personnes dans le besoin, cela aura la même valeur que si je jeûnais. Malheureusement, vivre le Ramadan au même rythme que tous les musulmans en mesure de pouvoir le pratiquer me manque. J’essaye de consommer moins que d’habitude, de lire le Coran, de me documenter sur l’Islam, de me rendre utile en prêtant main-forte à la mosquée près de chez moi pour faire le ménage ou encore servir à manger lors de la rupture aux plus démunis. J’espère que ces actes seront acceptés même si je ne peux pas jeûner », confie la jeune femme.
Rongée par la solitude
Se défaire d’une habitude est difficile et faire l’impasse sur une journée de Ramadan, un acte réalisé de plein gré, peut paraître impossible aux yeux de nombreux musulmans. Nadia, 32 ans était enceinte de 5 mois lors du dernier Ramadan. Elle l’a commencé, jusqu’au jour où elle a eu des complications de santé. « J’ai eu une pyélonéphrite, une infection du rein qui a nécessité une hospitalisation. Je devais beaucoup m’hydrater et me reposer. Mes douleurs étaient très intenses et je ne pouvais pas prendre de médicaments trop forts dans mon état. J’ai été placée dans le service des grossesses à risque. J’étais désespérée et je pleurais de ne pouvoir jeûner comme ma famille. Je rêvais d’être auprès de mon mari et de mes enfants pour leur préparer de bons petits plats ou encore pour aller visiter les malades dans les hôpitaux, comme je faisais jusque-là. J’étais tellement frustrée et je souffrais plus pour le Ramadan que pour ma santé. Je savais au fond que sans elle on ne peut rien faire, mais je m’en voulais presque de cette situation. J’ai été arrêtée durant trois semaines. Je ne me suis jamais senti aussi seule de toute ma vie. Je n’étais pas du tout réjouie de pouvoir manger, au contraire. J’ai rattrapé mes jours entre janvier et février, mais je dois avouer que le Ramadan a une meilleure saveur. J’ai ressenti bien plus de difficultés que lors de cette période bénie. Vivement le Ramadan prochain, j’espère enfin pouvoir apprécier ce mois sacré à sa juste valeur », livre la jeune femme.
Ressentir un certain complexe
Certains croyants peuvent se sentir « moins musulmans » que d’autres parce qu’ils ne peuvent observer le jeûne comme ils le souhaiteraient. Yasmine, 33 ans, est amenée à voyager beaucoup à cause de son travail. « Je suis constamment en déplacement, dans le train, dans l’avion… Je ne peux pas vivre le Ramadan comme une personne sédentaire. J’ai déjà essayé, mais ce n’est déjà pas facile de supporter les décalages horaires, alors s’il faut s’adapter aux heures de début et de rupture du jeûne de chaque lieu où je me rends, ce n’est clairement pas possible. Mon organisme ne suit pas la route. J’ai décidé de ne pratiquer le Ramadan que lorsque je suis chez moi, le weekend, par exemple ou quand je suis en télétravail. Pour compenser, je fais un maximum d’aumônes, je donne de l’argent et essaye de nourrir des personnes dans le besoin. Lorsque je peux, je rattrape aussi mes jours, en hiver ou lorsque les voyages se font plus rares. Cette situation me met mal à l’aise, car j’ai l’impression de ne pas être une bonne pratiquante, mais Dieu connaît les raisons. J’espère juste qu’elles sont assez valables pour ne pas être comptées comme des péchés », confie la jeune femme.
Les personnes qui ne jeûnent pas parce qu’elles y sont contraintes sont souvent minées par la culpabilité et les sentiments négatifs. Déroger à la règle, même lorsque les raisons sont reconnues comme valides par des textes sacrés peut sembler difficile pour certains. D’ailleurs, le poids des traditions et la pudeur sont tellement forts qu’ils conduisent fréquemment les femmes à dissimuler qu’elles se nourrissent lorsqu’elles sont enceintes ou encore quand elles sont en période menstruelle, par exemple.