Les traumatismes du passé vécus par nos ancêtres, qu’ils soient physiques ou psychiques, sont inscrits dans notre ADN. Ils façonnent notre être et influencent nos comportements. Afin de limiter la transmission des traumatismes post-traumatiques aux générations futures, nous tenterons de décrypter ce phénomène et de proposer des solutions préventives, en nous appuyant sur les conseils de Sabah Nejima, thérapeute et hypnothérapeute formée à la thérapie des schémas, au traitement des traumatismes de l’enfance et des problèmes relationnels.
Parents, grands-parents, arrière-grands-parents… Certains traumatismes traversent le temps et se transmettent aux nouvelles générations. Qu’est-ce qu’un traumatisme intergénérationnel ? Comme son nom l’indique, il s’agit de la transmission d’un trauma d’un parent ou grand-parent à sa descendance. En effet, cette personne aura vécu un évènement marquant dans le passé et sa descendance peut alors souffrir de ses conséquences sans n’avoir jamais vécu la situation à l’origine. « Il existe diverses formes de traumatismes. » Certaines personnes ont subi des épreuves répétées dans le temps, appelés traumatismes complexes, tandis que d’autres ont subi un grand événement unique, appelé traumatisme simple. » explique Sabah Nejima, thérapeute et hypnothérapeute formée à la thérapie des schémas. La transmission des traumatismes va se manifester par différents symptômes, réactions et émotions. Certaines personnes vont éprouver des angoisses face à certaines situations, vont subir des insomnies, faire des cauchemars, avoir des pertes de mémoires ou encore, voir des phobies inexpliquées naître chez elles. Elles peuvent aussi manquer de confiance envers les autres et / ou être irritables. Les traumatismes intergénérationnels ne doivent pas être assimilés aux traumatismes familiaux. Dans le cas d’un traumatisme familial, plusieurs personnes ont subi le même événement. En revanche, le traumatisme intergénérationnel sous-entend que celui-ci a été vécu avant même la naissance de la personne issue de la nouvelle génération et qui en souffre. « Elle porte des séquelles, parfois même sans le savoir, de faits marquants ayant eu lieu avant que leurs propres parents ne soient venus au monde. Il est aussi possible que des personnes n’aient pas subi de stress post-traumatique lié à un événement marquant et ne vont donc pas le transmettre aux générations futures. » ajoute Sabah Nejima.
Comment ce phénomène se manifeste-t-il ?
Il existe plusieurs hypothèses concernant la transmission des traumatismes. La première explication est scientifique, mais reste controversée parmi les spécialistes. Cette transmission s’effectuerait par l’intermédiaire de cellules qui se poseraient sur l’ADN des personnes ayant subi des traumatismes. L’ADN ne serait pas modifié, mais subirait un changement épigénétique (trace chimique laissée sur les gènes) susceptible d’être transmis à la descendance. « Une étude menée sur des souris a démontré les conséquences désastreuses de la transmission des traumatismes sur les ovules et les spermatozoïdes sur plusieurs générations. Cette étude consisterait à associer le sentiment de peur à un parfum. Les rongeurs recevaient une décharge électrique chaque fois qu’ils respiraient une fragrance à base de fleurs de cerisier. Des modifications épigénétiques se sont produites sur ces souris et leurs descendants mâles. Ces dernières, dès qu’elles sentaient le parfum de cerisier, devenaient angoissées, comme leurs ancêtres ayant vécu cette expérience scientifique éprouvante. Elles se mettaient alors à bouger de manière désordonnée. Il a ainsi été établi que ce traumatisme aurait été transmis de génération en génération », ajoute Sabah Nejima. La seconde hypothèse, plus plausible, est liée aux réactions de stress post-traumatique après un épisode traumatisant. Ce stress se manifesterait par des changements de perception, de l’anxiété, des troubles psychiques, des crises d’angoisse, ainsi que des comportements inadaptés et des peurs irrationnelles. Ces réactions seraient ensuite transmises aux enfants par l’attitude, le comportement, la parole et des réactions disproportionnées. Une personne en souffrance peut déborder dans sa colère de façon inappropriée et l’enfant peut en subir les conséquences. Cela peut en effet avoir des répercussions importantes sur le comportement de ce dernier, surtout si le parent ne prend pas conscience de cette attitude néfaste, souvent attribuée à sa personnalité. « Une personne ayant subi un stress psychosomatique va se sur adapter à son environnement et être en alerte en permanence. Elle peut aussi être moins présente émotionnellement. Ce qui peut avoir des conséquences significatives sur le développement de l’enfant. » précise la thérapeute.
Témoignages :
Aïda, 38 ans : « Je n’aime pas trop le contact avec les gens et j’ai transmis mes angoisses à mon fils. »
« Je ne sais pas si je souffre de phobie sociale, mais je sais que cette attitude est apparue avec l’âge. Ma mère m’a toujours mise en garde contre les mauvaises fréquentations et m’a demandé de prendre exemple sur elle. De son vivant, elle n’avait pas d’amies, par choix. Elle estimait que trop de fréquentations était synonyme d’ennuis. Au début, je ne comprenais pas et dès qu’elle m’entendait faire l’éloge de certaines amies ou camarades de classe, elle me disait de me méfier. Si mes enseignants avaient le malheur de lui dire que je bavardais en classe, par exemple, elle retenait les prénoms des enfants mentionnés et m’interdisait de continuer à entretenir des liens d’amitié avec eux. Elle craignait que je sois mal influencée. Avec le temps et après avoir vécu des trahisons amicales, j’ai adopté ses idées. Je me suis isolée, n’échangeais qu’avec des personnes dignes de confiance. Peu à peu, j’ai préféré la solitude qui est pour moi salutaire. J’ai compris que ma mère souffrait sûrement de blessures qui se sont produites dans sa vie antérieure. Elle en avait gardé des séquelles psychologiques qui se manifestaient par un manque de confiance en elle, mais surtout en les autres. Elle était toujours en alerte, elle veillait à ce qu’on fasse attention à nos fréquentations. Les angoisses qu’elle m’a transmises ont évolué en moi et j’ai appris à analyser les gens avant de leur faire confiance. Je n’ai pas beaucoup d’amis et garde une certaine distance pour éviter d’être encore déçue. Quand je suis devenue maman, j’ai remarqué très tôt que mon fils âgé de 11 ans maintenant fuyait les gens. Quand il l’approchait, il se cachait derrière moi ou un adulte en qui il avait confiance. Au début, je craignais qu’il ne parvienne pas à socialiser, notamment à l’école. Les enseignants me disaient qu’il se tenait toujours à l’écart des autres et cela les inquiétait. De mon côté, je ne m’inquiétais pas, puisque je suis un peu comme ça. Par ailleurs, mon fils me parle souvent de ses camarades avec lesquels il s’entend bien et qu’il estime comme des amis. Je ne souhaite pas reproduire et lui transmettre mes appréhensions, mais je sais par son comportement que certaines angoisses se sont transférées. Il est distant avec les autres et préfère éviter les foules, par exemple. Il ne prend jamais l’ascenseur lorsque des gens montent. Le fait qu’il ait des amis triés sur le volet me rassure. Je me dis, au moins, qu’il ne fréquente que les gens qu’il apprécie véritablement. Parfois, je me dis qu’il serait peut-être plus heureux s’il allait plus vers les autres et s’en méfiait moins, mais ma mère me rassure en me disant c’est une bonne chose par les temps qui courent de rester sur ses gardes comme il fait. »
Nadia, 44 ans : « je prends tout à cœur et je me fais de plus en plus penser à ma mère »
« Je me sens continuellement victime d’injustices. Étant très sensible au monde qui m’entoure, la moindre parole, remarque, changement de ton peut fortement m’affecter. Je pleure fréquemment, j’arrive parfois à percevoir des éléments que d’autres ne détectent pas dans l’attitude d’une personne, dans son regard, par exemple. Quand je raconte des journées qui m’ont marquée, par exemple, mon père me dit : « Ah toi, tu te sens toujours persécutée. » Ces paroles me blessent et me donnent le sentiment d’être discréditée. J’ai l’impression de ne pas avoir le droit d’exprimer mes ressentis ou d’exagérer les situations que je vis. Je me renferme alors et ne parle plus pendant des jours. Je sais qu’il souhaite simplement me dire de prendre de la hauteur, mais à sa manière, que je devrais prendre de la hauteur face à certains événements, mais mon problème est que je m’attache beaucoup aux termes utilisés. Ma maman était aussi très sensible. En rentrant à la maison, elle nous racontait les soucis qu’elle avait rencontrés au travail avec ses collègues, par exemple. Leur comportement ou leur parole déplacée pouvaient la ronger pendant des jours et des jours. D’ailleurs, tout au long de sa vie, elle a ressassé le mal fait par des membres de sa famille. C’était une femme profondément blessée et nous parlait de ce qui lui faisait mal régulièrement. C’était sans doute pour elle, une sorte d’exutoire. Elle était à la fois sensible et forte. Elle faisait preuve de résilience et se sacrifiait beaucoup pour aider les autres, ses parents de leur vivant et ses frères et sœurs. Sur ce dernier point, je lui ressemble beaucoup. D’ailleurs, j’ai l’impression de vivre les mêmes situations qu’elle. Elle était l’ainée et j’ai été l’ainée. Elle m’a élevé comme elle, « à la dure ». Ce n’était pas évident d’être à la hauteur de ses attentes, mais avec le temps, je me suis aperçu qu’elle ne faisait que reproduire le même schéma dans lequel elle a baigné plus jeune. A mon niveau, je fais tout pour ne pas transmettre mes angoisses, encore moins en criant ou en étant violente avec mes enfants. J’ai toujours été anxieuse, tout comme ma maman, et je souhaite donner une bonne éducation à mes enfants, tout comme elle, mais sans transférer mes souffrances. Ce n’est pas facile tous les jours, mais je m’y attelle. »
Sabah Nejima, thérapeute et hypnothérapeute formée à la thérapie des schémas, au traitement des traumatismes de l’enfance et des problèmes relationnels.
« Cet homme presque absent marquait sa présence uniquement par la violence, physique et psychologique. J’en étais grande spectatrice, mais aussi victime directe. »
Je retire ma casquette de thérapeute pour partager un bout de mon parcours personnel.
Dans le but, je l’espère, d’encourager les femmes à ne pas baisser les bras. À se dire qu’on peut se reconstruire, malgré une enfance difficile et malgré les épreuves.
Dans les grandes lignes, j’ai grandi avec une mère seule, je n’ai jamais connu mon père.
Je suis l’aînée d’une sœur et d’un frère, qui ont un père différent du mien. Cet homme presque absent ne marquait sa présence que par de la violence, physique et psychologique, j’en étais grande spectatrice, mais aussi victime directe. Ma mère a tout de même su être notre monde et nous apporter ce qu’elle pouvait, malgré ses propres bagages, ses propres souffrances.
Elle nous a malheureusement quittés lorsque j’avais 15 ans, paix à son âme. Ma sœur en avait alors 13 et mon frère seulement 7. Nous voilà orphelins et perdus sans « ce monde » qui nous échappa soudain. Mais Dieu a mis sur notre voie une seconde maman, notre tante, qui nous a portés et élevés comme ses propres enfants, pourtant seule elle aussi à élever ses sept enfants !
Elle nous offrira la gaieté d’une famille nombreuse, avec ses difficultés et ses défis, mais qui construisent et préparent à toute une vie. Ma reconstruction a été difficile face à une pseudo-timidité qui cachait un important manque d’estime, face à l’assujettissement, aux abus et au rabaissement, puis face aux défis d’une jeune mariée à l’âge de 20 ans. Parce qu’une envie folle de fonder ma propre famille. Me voilà aujourd’hui avec mes 3 enfants, 17 ans de mariage avec son lot d’épreuves aussi, Al hamdoulilah. Me voilà surtout grandie, guérie, grâce aux efforts personnels et la thérapie, et avec ce projet d’accompagner à mon tour les femmes qui en ont besoin. Ce que j’ai la chance de faire chaque jour grâce à mon métier de thérapeute. Alors, mesdames, même si parfois vous désespérez et vous en avez le droit, n’abandonnez pas. Je ne vends pas du rêve, c’est du travail, de la discipline et de la persévérance, tant sur le plan religieux que personnel. Il n’est jamais trop tard, jamais trop tôt, pour travailler sur soi et apprendre à faire de ses épreuves, de ses expériences, un moteur pour la suite. Pour vous avant tout, puis forcément pour les générations à venir.
La prise de conscience, un pas vers la guérison
Le traumatisme peut se transmettre de génération en génération, mais il est possible de guérir et de cette manière, limiter la transmission. Pour cela, il est crucial que les femmes prennent conscience que les générations passées n’avaient pas accès aux connaissances que nous avons aujourd’hui grâce à la documentation, Internet et aux réseaux sociaux, par exemple. Ces outils permettent de comprendre certains symptômes et incitent de nombreuses femmes à recourir aux thérapies. « Écouter les expériences des autres peut résonner en soi et permettre de se poser des questions sur nos propres vécus. Il arrive que certaines personnes en thérapie ne soient même pas conscientes d’avoir vécu un traumatisme. Certaines croient qu’il faut avoir vécu la guerre, un attentat ou des événements extraordinaires pour prétendre avoir subi un traumatisme. « En tant que professionnels, nous parvenons à le voir au fil des séances en effectuant un véritable travail sur soi », souligne Sabah Nejima.
Comment se libérer des traumatismes pour éviter leur transmission ?
Avec la thérapie des schémas, mais aussi d’autres approches, nous apprenons à prendre conscience des scénarios dans lesquels nous avons grandi et évolué. Ainsi, il est possible d’identifier et de dépasser les traumatismes vécus pour construire une vie plus sereine, en déconstruisant les croyances négatives que nous avons sur nous-mêmes, les autres et le monde. Il existe de nombreuses thérapies pour travailler sur les traumatismes vécus. L’hypnose ou encore l’EMDR (une psychothérapie par mouvements oculaires qui cible les mémoires traumatiques) permettent, par exemple de se détacher du passé traumatique et de retrouver les ressources en soi pour comprendre que nous sommes capables de les surmonter. « Nous n’allons pas guérir le traumatisme lui-même, mais le comportement qui en découle. Ce qui est essentiel à retenir, c’est que nous pouvons limiter la transmission de ces traumatismes en travaillant sur soi, en modifiant et en améliorant notre comportement avec les autres. Tout cela demande beaucoup d’efforts et souvent une démarche de demande d’aide. Parfois, il est difficile de savoir quels traumatismes nos ancêtres ont vécus, soit parce que nous ne les avons pas connus, soit parce qu’ils ne nous en ont jamais parlé. Cependant, avec du recul, nous pouvons nous poser les bonnes questions, comme : pourquoi réagissons-nous de telle ou telle manière dans certaines situations ? En prenant soin de nous, en comprenant nos mécanismes et en construisant une meilleure estime de soi, nous pouvons avancer et transmettre des notions positives à notre descendance. Ce n’est pas irréversible », explique Sabah Nejima.