Difficile de rester de marbre quand, face à nous, un être cher se met à relayer la théorie du grand complot. Comment réagir, se protéger soi-même et préserver nos liens lorsque nos opinions s’opposent ?
Depuis que le monde est monde, les fake news ont la vie dure : on le sait « de source sûre » ; c’est du « 100 % vrai », et si ça ne se dit pas dans les grands médias, c’est qu’« on nous cache tout »… Mais si le phénomène n’est pas nouveau –Internet et réseaux sociaux obligent–, ces fausses informations ne se sont jamais autant (et aussi vite) transmises que ces temps-ci. Et les infos les plus folles de circuler tous azimuts. Aucun démenti, même assorti de preuves, n’a jamais rien pu contre ces nouvelles, sorties d’on ne sait où et qui ont aussitôt convaincu bon nombre de personnes, alimentant conversations et débats.
Nassima (37 ans) connaît parfaitement le sujet : sa meilleure amie fait partie de ceux qui ne croient en rien d’officiel mais en tout ce qui est officieux. Et tant pis si ces infos-là sont totalement fantaisistes parfois ! Nassima a beau lui dire qu’elle n’est pas d’accord avec elle, rien n’y fait. Au point qu’elle en perd parfois ses nerfs. « Je n’en peux plus !, nous confie-t-elle. Depuis le début de cette crise sanitaire, on entend tout et n’importe quoi, certes. Et parfois on a pu nous-mêmes douter des infos qu’on nous donnait. Ça, je crois que c’est arrivé à chacun d’entre nous ! De là à ne plus croire en rien, et à préférer donner du crédit à n’importe quoi, il y a des limites ! Ma meilleure amie est comme ça. Nous vivons à 400 kilomètres de distance, mais je l’ai pratiquement tous les jours au téléphone ou en visio. Et à chaque fois, j’y ai droit. Elle me débite toutes ces bêtises qu’elle a lues sur les réseaux sociaux ou sur certains sites obscurs auxquels elle croit aveuglément. »
Myriam (29 ans) connaît exactement la même situation avec sa sœur aînée. Elle aussi perd parfois patience. « Un jour, elle m’a quand même laissé entendre que la situation en Afghanistan avait été provoquée juste pour qu’on oublie le passe sanitaire et le vaccin. Pour qu’on pense à autre chose, quoi ! J’ai cru que j’allais l’étrangler, ce jour-là… J’ai beau lui dire que c’est du grand n’importe quoi, elle ne m’entend pas ! D’après elle, les gens qui partagent ces infos sont forcément dans la vérité puisque très bien informés. Et pour cause, ce serait de grands penseurs, des intellectuels, des super youtubeurs, et que sais-je encore ?… Au début, je luttais, j’argumentais. Ça pouvait durer des heures ! » « Même chose chez moi, poursuit Nassima. Je lui ai dit une bonne fois pour toutes que je n’étais pas d’accord avec elle et que je n’avais plus envie d’entendre toutes ces choses. Du coup, elle s’est un peu calmée. Un peu seulement, mais c’était déjà ça… Puis c’est revenu. Même si elle se retient beaucoup, elle ne peut pas s’empêcher de me transmettre ces nouvelles soi-disant sûres, histoire de m’avertir, et de sous-entendre que je suis décidément beaucoup trop crédule. »
Pourquoi cette persistance à croire l’impensable ? Et pourquoi cette obsession du complot ? De plus en plus nombreux sont ceux qui pensent que nos élites nous manipulent sans cesse. Pas seulement en France, bien sûr ; partout dans le monde ! Pour la psychothérapeute Anne Brebart, qui exerce à Bruxelles, la situation actuelle n’y est évidemment pas pour rien. « En ces périodes anxiogènes, les repères nous manquent plus que jamais. À force d’entendre tout et son contraire depuis le début de cette crise, on ne sait plus en qui ni en quoi croire, mais il faut bien nous raccrocher à quelque chose. Alors, pour mieux respirer, on se crée nos propres repères en donnant crédit à ce qui nous rassure. Dans ces moments-là, le cerveau reptilien – c’est-à-dire celui par lequel passent nos émotions – est en alerte. Comme un instinct de survie face à la peur du danger. Car c’est bien la peur qui est au centre de tout cela. Pour la contrer, on va croire ce qu’il nous plaît de croire, ce qui nous conforte dans nos pensées. Et tant pis si ce sont des croyances. erronées et limitantes… » Le scientifique et philosophe Étienne Klein partage l’avis de la thérapeute : « Le but du cerveau n’est pas de connaître la vérité mais de nous permettre un certain confort psychique. Il va donc faire son ménage. » Au fond, rien de blâmable donc ? Tout de même… « Il faut vraiment se méfier de ces ayatollahs qui parlent bien, qui ont du charisme et qui drainent des millions de suiveurs sur Facebook, Twitter ou YouTube en disant n’importe quoi ! », prévient le médecin et écrivain Jamil Rahmani. Car, dans l’histoire, ces fake news – qu’on peut aussi appeler rumeurs – ont pu parfois causer bien des dégâts chez ceux qui en ont été victimes. philosophe Étienne Klein partage l’avis de la thérapeute : « Le but du cerveau n’est pas de connaître la vérité mais de nous permettre un certain confort psychique. Il va donc faire son ménage. » Au fond, rien de blâmable donc ? Tout de même… « Il faut vraiment se méfier de ces ayatollahs qui parlent bien, qui ont du charisme et qui drainent des millions de suiveurs sur Facebook, Twitter ou YouTube en disant n’importe quoi ! », prévient le médecin et écrivain Jamil Rahmani. Car, dans l’histoire, ces fake news – qu’on peut aussi appeler rumeurs – ont pu parfois causer bien des dégâts chez ceux qui en ont été victimes.
Justement, comment réagir au mieux face à ces gens dont on pense qu’ils sont dans le faux ? Et surtout comment ne pas en arriver à se fâcher avec eux ni à y laisser toute son énergie à force de devoir sans cesse se positionner ? Nassima et Myriam ont toutes deux trouvé la parade : « J’ai arrêté de débattre. Maintenant, c’est simple : je dis « Oui, tu as raison » à tout !, nous explique Nassima. Et je change aussitôt de sujet. Si elle recommence ? Je redis oui, et je rechange de sujet… » « Je fais la même chose, mais il faut reconnaître que cela finit par affecter sérieusement le moral, ajoute Myriam. Nous aussi, nous sommes fragilisées par cette crise. Alors pas besoin de piqûre de rappel quotidienne comme celles-ci. Du coup, j’avoue qu’il m’arrive de ne pas lui répondre au téléphone certains jours. Non que je ne veuille plus lui parler, mais j’ai besoin de souffler ! »
Pour Anne Brebart, voilà sans doute la meilleure des attitudes à adopter pour se protéger, et finalement préserver les liens avec ceux qui nous sont chers. « S’individuer est essentiel. Ne pas répondre quand on ne s’en sent pas l’envie est normal, et il n’y a pas à culpabiliser pour cela. Car c’est aussi se protéger. Et ça ne veut pas du tout dire qu’on n’aime plus la personne face à nous ! » En effet, depuis quand serions-nous obligés, pour les aimer, de partager les opinions de ceux qui nous entourent ?