C’est culturel. Quand leur enfant fait une bêtise, les parents maghrébins ont un tic de langage… leur adresser des mots pas très doux en arabe. «Vipère », « ogresse » et autre « ânesse » peuvent voler. Quelle insulte les a suivies toute leur enfance ? Ont-elles hérité de ce réflexe avec leurs enfants ? Témoignages de Gazelles.
Habiba, 29 ans « Messmouma »
Messmouma (« venimeuse »), c’était l’insulte de ma mère. Dès que je faisais quelque chose qui ne lui plaisait pas, elle avait ce mot à la bouche. Et elle l’accompagnait par « attends que je raconte ce que tu as fait à ton père ». En vérité, elle ne lui disait jamais. C’était juste pour me faire peur. Aujourd’hui, je me rends compte que le mot messmouma, je l’ai facilement à la bouche quand je parle d’une personne qui fait quelque chose de mal.
Lila, 43 ans « Settouta »
J’ai toujours été un bec sucré. J’adorais les gâteaux et les sucreries quand j’étais petite. Ma mère en achetait pour nous, mes frères, mes sœurs et moi. Elle avait aussi toujours un petit stock qu’elle mettait de côté dans un tiroir au cas où elle recevrait des invités. C’étaient LES gâteaux des invités, auxquels il ne fallait pas toucher. Je n’arrivais pas à résister. Il m’arrivait d’aller en cachette ouvrir ce tiroir et me servir. Sans m’en rendre compte, je terminais les paquets ! Quand ma mère voyait le tiroir vide, elle savait que c’était moi. Elle criait : « settouta (« vicieuse »), viens voir là » pour me mettre face au tiroir vide. Aujourd’hui, je suis maman de trois garçons. Le plus jeune est comme moi, il adore les sucreries. Comme ma mère, je les range pour qu’il ne les trouve pas. Mais même la plus ingénieuse des cachettes ne lui échappe pas. Quand je me rends compte qu’il a terminé les boîtes de chocolats ou autres, je le traite de halouf (« cochon »).
Nawel, 29 ans « Kelba »
L’insulte préférée de ma maman, c’était kelba (« chienne »). Quand je rentrais tard, que je ne revenais pas directement à la maison après le lycée, elle me traitait de kelba. Dès que j’ouvrais la porte, je l’entendais me le dire depuis l’autre bout de l’appartement. Dans ma famille, le mot kelba fait partie du vocabulaire courant. Je crois que ça doit être dans les gènes des Algériens de l’Ouest de l’utiliser. Moi, je dois le dire au moins une fois par jour.
Khadija, 27 ans « Ânesse »
À la maison, mon père ne supportait pas les insultes. C’était tabou ! Et quand je faisais des bêtises, c’était en cachette. Par contre, j’ai toujours entendu mes tantes insulter leurs filles, surtout quand elles ne débarrassaient pas la table rapidement. Pour mes tantes, il fallait finir de manger, puis vite débarrasser. Alors seulement, on pouvait discuter. Sinon, elles lançaient « crasseuses », « vipères », « ânesses » à mes cousines.
Assya, 31 ans « 3azri douar »
À chaque fois que je rentrais à la maison, après avoir ou non tardé dehors, ma mère m’accueillait avec l’expression « 3azri douar ». C’était sa réplique préférée. Un 3azri, c’est un jeune homme célibataire qui peut partir et revenir quand bon lui semble. Contrairement à la 3asba, la jeune femme célibataire qui reste à la maison. C’était sa manière de me dire que je me prenais pour le célibataire du village. Ça me touchait, j’avais l’impression que ma mère me privait de liberté. En fait, elle était possessive, elle aimait m’avoir près d’elle.
Kahina, 32 ans « Poupiyat Hadjout »
Quand j’étais plus jeune, dès que je m’apprêtais un peu, même sans le moindre excès, ma grand-mère m’appelait « Poupiyat Hadjout » (« la poupée de Hadjout »). C’est une réplique typiquement algéroise. Elle fait référence à un commerçant d’Alger qui s’appelait Hadjout et qui, pour attirer les clients dans son magasin, avait mis une poupée dans sa vitrine. Il avait été le premier à le faire. Avec le temps, l’expression « poupiyat hadjout » est devenue une référence à une personne qui n’est pas naturelle. C’est marrant, parfois, quand je finis de me maquiller, il m’arrive de me dire que je ressemble à « poupiyat hadjout ». Ça me fait tout de suite penser à ma grand-mère, paix à son âme.
Asnia, 22 ans, « Hmara, jersha, bagra ou roula »
Petite, je n’étais pas très adroite. Je cassais toujours les choses. Alors, mon père m’insultait… J’avais droit à hmara (« ânesse »), jersha (« ânon »), bagra (« vache ») et roula (« ogresse »). Je me souviens aussi de la révision des tables de multiplication. À chaque fois que je donnais une réponse, par exemple quand il me demandait combien font 6x7et que je répondais 42, il me demandait toujours : « tu es vraiment sûre de toi ? » Du coup, je me mettais à douter et je changeais de réponse. Et là, il m’insultait : hmara. Je rigole en y repensant, mais à l’époque ce n’était pas drôle. Et les chiens ne font pas des chats… Aujourd’hui, mon insulte favorite, c’est 3-en-1 : « Hmara, jersha, bagra ». Quand j’étais petite, bagra me blessait beaucoup. D’autant que je suis une femme enrobée. Mon père l’utilise toujours, d’ailleurs, surtout quand il me voit manger. Je rigole et je lui réponds qu’il n’a qu’à arrêter de remplir le frigo.
Fatna, 35 ans, « L’khanza »
Quand j’étais petite et que je me battais avec mon petit frère, notre mère s’énervait rapidement. Il faut avouer que j’étais turbulente. Mon frère allait se plaindre auprès de ma mère. Alors, elle me disait « l’khanza, viens ici » pour qu’elle me remonte les bretelles. L’khanza, c’est une fille sale ou qui fait des choses sales. C’est drôle, ce mot-là est resté dans mon vocabulaire. Ma fille est mon portrait craché. Quand elle embête son frère, je l’appelle l’khanza.
Nadia, 37 ans « Nadia el lafha »
Le mot lafha (« vipère »), je l’ai entendu durant toute ma jeunesse. Ma mère me le lançait au visage dès qu’elle me prenait à faire une mauvaise chose. Elle me traitait de lafha aussi quand, par exemple, elle m’envoyait chercher quelque chose chez une de ses amies habitant dans le bâtiment d’en face et que je n’y allais pas, préférant rester jouer dehors. Alors, je l’entendais crier depuis le balcon : « Nadia el lafha » (« Nadia la vipère »). Elle ne disait rien d’autre. Mais le message était clair : je savais alors que j’avais intérêt à vite m’exécuter.
Amina, 39 ans « Amina smina »
Petite, quand je passais mes vacances en Algérie et que mon oncle me cherchait partout sans me trouver, il criait dès le deuxième appel : « Amina smina » (« Amina la grosse »). Je ne comprenais pas pourquoi il m’appelait comme ça, d’autant que j’étais maigre comme un bâton. Cela l’énervait peut-être que je ne lui réponde pas. Ou c’était peut-être pour la rime, mais en tout cas cela m’a marquée !