La contestation soudanaise a décidé de mettre fin au mouvement de désobéissance civile, depuis ce mercredi 12 juin. Après trois jours de quasi paralysie de la capitale Khartoum, la vie reprend doucement son court, mais non sans crainte.
Le Soudan vit depuis plus d’une semaine une escalade de violence au coeur de sa capitale, Khartoum. Les événements du 3 juin dernier ont marqué le début d’une répression d’une rare violence. Les miliciens RSP (Force de Soutien Rapide), sous les ordres du général appelé « Hemetti » ( Muhammad Hamdan Daklo) ont attaqué le sit-in pacifique installé devant le ministère des Armées pour réclamer la passation du pouvoir aux civils. Ils ont mis le feu aux tentes, brûlant vifs les dormeurs, tirant à balles réelles sur ceux qui essayaient de s’enfuir, fouettant et violant tous ceux qui se trouvaient sur leur passage.
Une répression de la terreur qui n’est pas sans rappeler les cruels précédents d’un régime totalitaire pourtant destitué depuis avril dernier. Les évènements de ses derniers jours font étrangement échos aux 3000 villages incendiés du Darfour ou encore 221 femmes et petites filles violées et torturées dans le village de Tabbit.
Tout a commencé par le triplement du prix du pain en décembre 2018. La contestation du peuple s’est fait entendre et a rapidement pris une tournure politique. Le soulèvement est resté pacifique mais les civils ont tenu bon pour obtenir une transition démocratique et mettre fin à 30 ans de dictature. Alaa Salah, une jeune étudiante en a été un des symboles.
Le 11 avril, le dirigeant Omar el-Béchir a finalement été destitué. A présent, les généraux Borhan et Hemetti, essaient de remplacer l’ancien régime par une nouvelle dictature, alors même qu’ils avaient soutenu le peuple pour faire tomber el-Béchir.
« Le déficit de confiance sera très difficile voire impossible à combler. Il faut le dire sans risque de se tromper, les insurgés, résolus à ramener le Soudan dans une ère de liberté et de démocratie, ont été trahis par l’armée et la police qui s’étaient rangées à leurs côtés pour destituer, le 11 avril 2019, Omar al-Bachir qui a tenu pendant plus de trente ans le pays d’une main de fer. Mais le rêve est bel et bien en train de virer au cauchemar car les hommes en kaki n’ont visiblement aucune intention de rendre le pouvoir aux civils, » réagit le journal burkinabé Wakat Séra.
Aujourd’hui, on compte plus d’une centaine de mort à Khartoum et plus de 500 blessés, selon le Comité central des médecins soudanais. Des centaines de personnes sont encore portées disparues et des cadavres continuent de remonter à la surface du Nil. En plus des meurtres, “des récits terrifiants de viols par les paramilitaires commencent à émerger”, écrit The Guardian.
« Les militaires ont donc tombé le masque, confirmant leur stratégie initiale de sacrifier Bachir pour garder le gouvernail bien en main.” estime Wakat Séra
Les Soudanais tiennent bon face à l’horreur et ont lancé dimanche 9 juin une grève générale qu’ils ont appelé mouvement de désobéissance civile. Une réponse pacifique à l’agressivité des milices. Mais pour donner une chance à la reprise des négociations avec les généraux au pouvoir, le mercredi 12 juin, la contestation soudanaise décide de mettre fin à la grève générale. Les deux camps ont accepté de revenir à la table des négociations. Malgré tout, beaucoup d’habitants de la capitale décident de rester chez eux à cause de la forte présence des groupes paramilitaires dans les rues de Khartoum.
A noter que l’ONU a attendu mardi soir pour condamner les violences contre les civils, à cause du veto de la Chine et de la Russie. Les deux grandes puissances soutiennent le Conseil militaire de transition en place depuis la destitution d’Omar el-Bechir, des intérêts économiques étant en jeu. Selon les experts, d’autres puissances soutiennent les généraux : les Emirats, l’Egypte et l’Arabie saoudite. Le Soudan devient le théâtre des ambitions économiques de grandes puissances étrangères, piétinant les aspirations de démocratie et de liberté du peuple.
Aujourd’hui, on assiste à une vague bleue sur les réseaux sociaux. De nombreux internautes ont remplacé leur photo de profil par un fond bleu en soutien aux civils soudanais et pour réclamer la fin des violences. Le bleu est un hommage à Mohamed Mattar, tué le 3 juin dernier par les membres du RSF. Cet étudiant londonien de 26 ans tentait de s’interposer entre des miliciens et deux femmes.