Le recours au r’bit (« verrouillage ») pour préserver la virginité des enfants est une pratique considérée comme de la sorcellerie et de l’association. Elle trouve cependant, aujourd’hui encore, des adeptes.
Le sortilège de virginité, ou r’bit (nouer), tasskar (fermer), est un rituel ancestral pratiqué sur les enfants avant la puberté. Aussi présent dans les villes que dans les campagnes, dans les pays du Maghreb, il consiste à préserver la virginité jusqu’au mariage. La crainte du déshonneur étant encore très présente dans certains esprits, ce rituel peut présenter une dimension rassurante pour certaines mamans. Le r’bit est généralement pratiqué par une femme assez âgée et à qui ce « pouvoir » a été transmis comme un héritage. Ce rite, perçu comme relevant d’un pur shirk, (« association »), est encore un sujet tabou au sein des familles qui l’ont pratiqué. Celles-ci n’en parlent pas, et de nombreuses jeunes femmes, mais aussi certains hommes, n’osent pas aborder le sujet, ni avec leur maman, ni avec leurs proches. Le sortilège, censé protéger de la perte de sa chasteté ou de toute éventuelle tentative de viol, peut s’avérer traumatisant, surtout lorsque l’on en comprend le sens. Il existe différents types de tasskar : celui dans lequel le sandouk, coffre sur lequel la petite fille s’assoit, est ouvert et fermé sept fois pendant qu’elle répète une phrase, « Ana hit, ould ennas khit » (« Je suis un mur et le fils d’autrui est un fil ») ; la technique de la seddaya, pour laquelle la même phrase est répétée, et qui consiste à tisser un tapis sur lequel la petite fille saute sept fois, à l’extérieur et à l’intérieur ; ou encore le cadenas. Les tatouages, la fibule ou le couteau, utilisés la plupart du temps pour le tasskar de l’homme, sont aussi des rites de verrouillage encore très répandus.
Malika, 62 ans : « Je regrette d’avoir pratiqué ce rituel sur mes filles »
« J’ai subi le tasskar, tout comme mes sœurs et mes cousines. Reproduire ce rituel sur mes filles était une évidence. Je ne me doutais pas que cette pratique était associée à de la sorcellerie, tant elle était répandue. Je croyais protéger mes enfants. Finalement, je me suis fait du tort. J’ai appris à mes dépens que cela était perçu comme du shirk billah : j’avais commis le plus grand péché, qui est l’association, au lieu de m’en remettre à Allah toutpuissant, qui sait mieux que quiconque protéger ses créatures. Même si elles m’ont pardonné mon ignorance, mes filles m’ont reproché de m’être laissé convaincre par ma famille. Quand elles étaient petites, elles ne comprenaient pas trop, mais une fois adultes, elles ont commencé à me poser des questions. Elles ont voulu savoir pourquoi elles avaient dû s’asseoir sur un coffre et répéter des paroles en arabe pendant qu’une dame fermait et ouvrait la serrure. Alors qu’elles parlaient, je me suis rendu compte du malaise qu’elles avaient pu ressentir. Je me suis effondrée, et je leur ai tout expliqué. Je regrette tellement mon ignorance… Mais, même s’il ne s’agit pas d’une excuse valable, il faut rappeler qu’avant, nous n’étions pas bien informées de ce qui était licite ou non. J’ai suivi bêtement. »
Sofia, 28 ans : « Je ne me souviens pas d’avoir été « verrouillée », je l’ai appris récemment »
« Je n’ai su qu’il y a quelques mois que j’étais « fermée ». Ma famille, comme tant d’autres, malheureusement, a usé de la magie pour préserver ma chasteté. Je l’ai appris lorsque l’homme que j’aime, un garçon très pieux, est venu me demander ma main. Il n’a jamais osé me toucher, car il est extrêmement respectueux : voilà ce que je pensais, jusqu’au jour où ma mère m’a dit qu’il allait falloir que nous allions au bled pour retrouver la dame qui m’avait tasskar (verrouillée), afin qu’elle puisse effacer le sortilège en me faisant sauter, à nouveau, sur le fameux tapis tissé. J’étais choquée, et je comprenais mieux pourquoi les autres hommes avec qui j’étais sortie, même s’ils avaient essayé de coucher avec moi, n’étaient pas parvenus à leurs fins. Pour ne pas froisser ma mère, je n’ai rien dit devant elle. J’ai fait comme si c’était normal. Mais au fond, j’étais effondrée. Je me demandais comment des parents pouvaient ainsi intervenir dans la vie de leur fille par peur d’un supposé honneur perdu. Je suis écœurée à l’idée de devoir aller au Maroc pour « désactiver » le sortilège. Je crains même de tomber dans l’association, moi aussi. »
Sonia, 41 ans : « Je suis restée vierge jusqu’au mariage – je ne sais pas si cette sorcellerie a réellement fonctionné »
« Je me souviens de l’été de mes 8 ans. Nous sommes allés chez mes grands-parents en Algérie, comme tous les ans. Comme d’habitude, nous nous sommes rendus chez des amis, que nous considérions comme des membres la famille tant ils étaient proches de nous. En allant là-bas, je n’aurais jamais imaginé ce qui allait m’arriver. À la demande générale, je me suis assise sur un coffre, et une dame que je connaissais et que j’appréciais beaucoup m’a demandé de répéter des phrases pendant qu’elle tournait la clé du coffre. Ensuite, ma mère et toutes les femmes présentes m’ont ordonné de ne parler à personne de ce moment – sinon, un grand malheur m’arriverait ! J’étais pétrifiée, et je sentais que ce qui m’avait été fait était malsain. J’avais compris, en répétant les paroles, que tout cela avait un rapport avec les hommes. Par peur que ma mère ne le découvre, et, surtout, que Dieu ne me punisse, en m’apportant des malheurs, d’avoir trahi le secret, je me suis tue. De longues années plus tard, en discutant avec mes cousines, j’ai enfin levé le voile sur le mystère de ce si mauvais moment. Elles m’ont expliqué que presque toutes les filles de la famille, avaient eu droit au sortilège de virginité – ma sœur, elle, n’a pas connu ce rituel. J’ai aussi appris qu’au moment où je me marierais, le même rite serait réalisé afin que je sois « déverrouillée » et que je puisse avoir une sexualité épanouie avec mon mari. Je suis restée vierge jusqu’au mariage, par choix. Je ne sais pas si cette sorcellerie a réellement fonctionné. Finalement, tout s’est déroulé comme cela m’avait été expliqué par mes cousines. La veille de la cérémonie, la femme que j’avais vue l’été de mes 8 ans m’a invitée à m’asseoir sur un coffre, et elle m’a demandé de prononcer des paroles, différentes des premières. J’étais offusquée, mais je n’ai rien dit pour ne vexer personne la veille de mon mariage. »